Après le premier Pavyllon qu’il a créé fin 2019 au Pavillon Ledoyen, Yannick Alléno vient d’ouvrir le second à l’Hôtel Hermitage dans l’espace auparavant dédié au restaurant Vistamar. Le voici en Principauté dans un registre qui lui réussit et qu’il ne cesse d’enrichir.
Depuis fin avril, Pavyllon incarne la «gastronomie de comptoir», ce concept haut de gamme et convivial dont on dit qu’il «casse les codes». Il n’est pourtant pas inédit. En 2003, le premier Atelier imaginé par Joël Robuchon introduisait une révolution en invitant les clients à oublier la salle et ses rituels pour se tourner vers le cœur du sujet, la cuisine. Assiette plus simple, supression du nappage, ballet du service révolu, il bousculait tout cérémonial. Mais là où Robuchon installait la rigueur, la ligne droite, le rouge et le noir, Yannick Alléno apporte une proximité nouvelle faite de décontraction, d’innovation et de raffinement.
Dans la forme d’abord. Face à la cuisine ouverte, l’architecte d’intérieur Chahan Minassian a conçu un large comptoir en élipse au plateau de chêne cérusé, sièges en velours et daim et tons gris-vert. De grandes baies vitrées ouvrent sur la terrasse végétalisée avec vue sur le Rocher et la Méditerranée. Verrière au large comptoir dans le premier rôle, salle du restaurant aux couleurs douces, alcoves ou salon privatif, Pavyllon joue l’accessibilité et la détente.
Changer, renouveler, accélérer, c’est l’ère Alléno.
Mais sans la créativité d’un chef qui accorde la gastronomie à son époque, l’affaire du comptoir ne serait qu’un épisode théâtral. Pour qui l’ignorerait encore, il est l’un de ceux qui maîtrise le mieux son évolution. Changer, renouveler, accélérer, ces marqueurs d’un temps exténuant et créatif définissent l’ère Alléno. A l’Hermitage, son entrée en scène est assez bluffante. Hors d’oeuvre végétaux, entrées chaudes ou froides, plats-répliques du Pavyllon Paris ou séquences méditerranéennes, sa cuisine conduite avec son jeune chef Guillaume Bellayer mène un train d’enfer, léger, percutant et dépasse l’habituel hommage au terroir. C’est le saumon balik, tartare frais en croustillant de pommes de terre, bar et bœuf, caviar osciètre aux condiments. La viennoise de parmesan gratinée, légumes primeurs et vinaigrette de fleur de sureau. Une délicate raviole de langoustines marinées, combawa, citron vert, pâte imprimée d’herbes fraîches (oxalys, marjolaine, sarriette…), fondue de feuilles de basilic. Ou l’œuf badaboum, starisé à Paris, poché avec crème froide fumée, l’oeuf glacé, le blanc bien saisi puis farci de caviar.
Art saucier, douceur et haute précision
Et puis ces grands moments en cœur de repas. Les filets de rougets panés à la fleur de courgette et feuille de basilic, fondue de tomates à la mangue et safran. Subtil, végétal, voyageur. Quant au feuille à feuille de bœuf Wagyu et champignons de Paris il est stupéfiant de finesse, tout gras effacé, câpres et sucs de champignons, jus de bœuf, extraction de céleri. Enfin, les desserts, où il est aussi question de sauces. Une crème Fontainebleau, fromage blanc et crème fouettée montée, fraises des bois légèrement passées au four pour concentrer le jus. La feuillantine croustillante, glace à l’amande, fraises des bois au sureau ou la tarte au chocolat fondant, cuite minute, poudre d’amande, gel amareto, poudre de chocolat au lait au thé noir. Légérissime.
L’énoncé peut donner le vertige, pas ce glissement de haute précision qui relègue les sempiternels «plats signature» au rang de vieilleries. Chacun, ici, se lit clairement, moment posé par un multi étoilé (1), saucier de son temps qui n’oublie rien d’Escoffier, expérimente jus, extraits, réductions de légumes et d’herbes et au final détrône le sucre, remplacé par l’eau de bouleau. La sauce dans toutes ses complexités est l’axe majeur sur la palette Alléno.
On n’oublie pas bien sûr que cette gastronomie dite de comptoir s’exerce en Principauté, territoire étoilé où on ne confond pas palace et guinguette. Pavyllon, chic, luxe et décontracté, a son prix mais dès le menu déjeuner (68 €) on ne boude pas son plaisir. Quelle que soit l’altitude des deux grands menus, cette cuisine rajeunit L’Hermitage, incarne le changement et invite à la découverte les amateurs de la Côte. Pavillon haut.
- Trois macarons Michelin pour Alléno Paris et 1947, à l’hôtel Cheval Blanc Courchevel, deux à L’Abysse, le comptoir à sushis du Pavillon Ledoyen et un à Pavyllon.
Pavyllon Monte-Carlo par Yannick Alléno à l’Hôtel Hermitage, Square Beaumarchais. Tel. +377 98 06 98 98. Menus 68 € à déjeuner (servi en moins d’une heure), 145 € et 235 €. Ouv. tlj.