Il y a deux ans, Philippe Colinet quittait Saint-Tropez et gagnait… Saint-Tropez. Ayant quitté… La Bastide de Saint-Tropez, il trouvait une autre lumière au Sezz, boutique-hôtel créé par Shahé Kalaidjian sur la route des Salins, succédant à Jérôme Roy, placé par Pierre Gagnaire. Deux saisons sous Covid auraient pu tout compromettre mais ne dissuadèrent pas le guide Michelin d’accorder l’an dernier une étoile à ce tourangeau discret dont la cuisine flirte aujourd’hui avec la seconde.
Dans ce lieu au design séduisant, voisin de La Treille Muscate où Colette, écrivaine et gourmande, passa chaque été de 1926 à 1938, il crée des plats bluffants de justesse, servis en terrasse près de la piscine.
L’introduction «végétale» d’une laitue, sauce bagna-cauda, anchois marinés fumé et câpres, est douce et percutante à la fois. Les gamberoni du golfe de San Remo, jus de têtes concentré, fenouil et cueillette sauvage, sont une séquence de grande Riviera et le saint-pierre, qu’on trouve souvent mièvre et désolé sur des menus sans âme, reprend vie avec un jus de légumes corsé, des avocats à la flamme et une râpée de brocolis et citrons confits.
Enfin, si le tout chocolat «Criollo», de noblesse Maya, menthe, chocolat, noir végétal et poudre de chocolat est une explosion de saveurs, la tomate pochée à la vanille, pain perdu, meringue tomates et crème glacée à l’huile d’olive des Baux est aussitôt consignée dans notre carnet d’émotions.
On ressent dans la cuisine de ce passionné d’agrumes et particulièrement de citron, un lien sincère avec ses producteurs locaux et ses fournisseurs fidèles (Yann Ménard, le paysan-maraîcher du Jardin de la Piboule à Cogolin, Les Pêcheries de Menton, le chocolat de la Manufacture Duplanteur à Grasse, l’huile d’olive de Xavier Alazard aux Baux de Provence…) et une créativité qui ne repose sur aucun slogan. Qu’aurait-on à faire d’une «ode au végétal» ou d’une «cuisine zéro déchet» si ces serments s’effondraient dans l’assiette? Ou si les «plats signatures» – huître de la Maison Giol à Tamaris, grillée, pain charbon, cresson et échalotes ou pigeon de Touraine avec polenta, thé fumé et oignons brûlés – tournaient aux refrains usagés ?
Quand on associe Saint-Tropez et gastronomie il faut savoir de quoi on parle. S’il s’agit du «haut niveau», La Vague d’Or, la table trois étoiles d’Arnaud Donckele à l’hôtel Cheval Blanc est la référence absolue. Entre plages et village, c’est un autre récit : concepts à vive allure, abus de l’éphémère, designs sur le sable, additions insolentes… mais aussi des cuisines ouvertes sur le monde et un sens de la fête toujours renouvelé.
Au Sezz, dirigé par Angélique De Sa-Mansoutre, Philippe Colinet, secondé par Clément Hericotte, démontre qu’il y a aussi la place, sous le soleil, pour une gastronomie du plaisir sereine et réfléchie. Un hôtelier et un chef s’accordent ainsi pour installer dans le temps une cuisine d’auteur quand d’autres s’en détournent. C’est osé, plutôt rare, et surtout réussi. Et si on invitait Colette, un soir sous les étoiles, pour échanger sur la figue ou l’aubergine, le bois de fenouil ou la menthe varoise ?…
Restaurant Colette, Hôtel Sezz Saint-Tropez, 151 route des Salins. Tel. 04 94 44 53 11. Menus 116 € (5 services) et 156 € (7 services). Fermé le soir lundi et mardi, ouvert 7/7 en juillet-août.