Voilà une adresse que les «viandards» doivent avoir mis en liste rouge. La porte ne leur est pas fermée mais L’Ami n’est vraiment pas fait pour eux. Lucas Minisi n’y fait pas mystère de sa passion légumière, qu’il n’a pu totalement assouvir durant son parcours éclectique, en terre toulousaine au Crowne Plaza et chez Yannick Delpech à Colomiers, puis à Monaco au Louis XV-Alain Ducasse ou au Relais des Maures au Rayol-Canadel. Grandes tables ou maisons de caractère, il ne renie pas ces expériences, bien au contraire, mais à son arrivée à Bandol, au printemps dernier, il a choisi de raconter sa propre histoire.
C’était hier l’adresse de «Cécibon», nichée dans une petite rue près de l’église Saint-François de Sales. Lucas a conservé le décor clair et moderne et en a fait une table à la vingtaine de couverts, dédiée à la cuisine du végétal, appellation plus juste et actuelle que celle de restaurant végétarien, et accordant une place à la pêche méditerranéenne. Seul en cuisine, Lucas Minisi réussit une partition libre et gourmande dont on ne trouve pas trace sur le littoral varois. La pureté de son engagement fait penser à la «gastronomie du végétal» de Bruno Cirino, indépassable dans cet exercice à Racines, son restaurant de Nice.
Le jour de mon passage, j’ai découvert une cuisine créative, délicate, sans radicalité ni maniérisme, proposée à la carte ou en deux menus intitulés «Causette» et «Chuchote». L’entrée en matière se veut apaisante et la suite confirme la première impression d’une adresse discrète et «différente» où chaque plat témoigne de l’engagement du chef, qui fait lui-même son pain et une délicieuse brioche au citron. Ainsi, ce jour là, avec le choix de deux entrées, un cèleri rave, condiment Algue Dulcé ou la carotte rôtie, jaune d’oeuf et pollen de fleur. Puis une petite daurade en pêche du jour, gomasio d’herbes et kaki brûlé. Mieux encore, la composition végétale aux micro herbes, comme un jardin aux saveurs pointillistes. Jusqu’à la dernière note, un fondant au chocolat sans cuisson et agrumes en salade, L’Ami maintient l’équilibre, souvent introuvable, entre la recherche et le plaisir.
A la fois marine et végétale, elle séduit par son savoir-faire et sa sincérité, autant que par la chaleur de l’accueil (le service de Charles, précis dans la présentation des plats). Elle est aussi une adresse-courage à déconseiller aux mangeurs de grand chemin qui prennent le moindre plat ciselé pour une portion de mauviette ou une lubie d’intello. Il faut entrer en communion avec elle, s’accorder à son tempo et se réjouir du lien déjà tissé avec les producteurs locaux, Bruno Cayron, Tagete & Bergamote, La Ferme Urbanbio, Mlle Colibri, Emma Forestier… Bandol compte quelques bonnes tables – L’Espérance, Les Oliviers, Au Clair de la Vigne, Le Shardana… – et celle de Lucas Minisi a rejoint ce commando. Enfin si on attend quelques ajustements de prix de cette adresse sérieuse mais encore débutante, précisons qu’elle est davantage une table du soir, propice à la découverte et au temps de la dégustation. Une belle histoire commence.
L’Ami, 3 rue de la Paroisse, Bandol. Tel. 09 56 02 38 68. Carte env. 55/60 €. Menus 53 et 68 € (3 et 4 services), menu dégustation 89 €. Fermé mercredi et jeudi.