“AM”, OM, Alexandre Mazzia, Marseille… L’alphabet sudiste a du talent, Alexandre est un prénom conquérant et Mazzia a conquis Marseille. Au coeur de la Cité Radieuse de Le Corbusier, “Le Ventre de l’architecte” fut sa table d’art et d’essai, sa classe prépa, son purgatoire…
Ouvert dans le quartier du Prado, un an après que la ville fut devenue Capitale Européenne de la Culture, il a lancé AM le 17 juin 2014, restaurant urbain à l’écart des cylindrées phocéennes (Passédat, Sourrieu, Frérard, Lévy….), comme un Ovni à la mer. Béton, bois et lumière. Emotion et fulgurances. Le vrai départ.
Depuis, il retouche sans cesse sa gastronomie comme le peintre sa toile. Il y a les aficionados – j’en suis, je crois, de la première heure – et les allergiques aux bouchées en rafales et au picoré minimaliste. Quand on est de ce côté du gué il n’y a plus guère de discussion. On prend tout de travers ! Les enchaînements févettes-cédrat-bergamote-sumac, le duo chocolat-anguille fumée pourtant lumineux, ou le jus de canard et topinambours, jugés incongrus avec le si iodé du rouget. Je comprend que l’on puisse être égaré sans un morceau franc à croquer ou un plat clé de voûte. Mais il en est ainsi depuis qu’il y a des créatifs et des lanceurs d’alerte. Que ne dit-on pas de Passard, au début des années 2000, quand il délaissa son passé de rôtisseur pour se convertir à la cuisine légumière ?
Pourquoi j’m AM ? Pour le saisissant, l’imprévisible. Pour la syntaxe singulière et les accords sur le fil. Pour les rebondissements, le geste, l’art de la nuance, le texturé, le terrien, la complicité avec artisans et producteurs… Ce food sentimental vous fait avancer et vous met face à vous-mêmes. Langoustine, carotte, manioc, lait de poule, texture végétale; petits pois, épinard, gingembre et cochon-betterave; chocolat fumé et le piment d’Espelette… ne racontent pas l’histoire de Peter Pan au pays de la bouillabaisse mais illustrent une voie nouvelle aux airs de féérie d’enfance.
Aujourd’hui, Alexandre Mazzia tutoie le haut des classements et compte parmi les chefs les plus créatifs. Il faut toujours se méfier de l’Olympe : le temps de consécration y est compté et les nouvelles générations s’impatientent. Mais dans ce lieu épuré, il a imposé une esthétique, applique comme une conduite de vie la permaculture qui prend soin de la terre et des hommes, trace une cuisine d’auteur que Marseille n’avait pas explorée mais comprend. La voie Mazzia. Textures, découpes, jus, extractions… il y a dans ses explorations l’approche d’une cuisine du monde – et non mondialisée – qui concilierait terroirs, continents et tendances, quel qu’en soit l’esprit, japonais, nordique, méditerranéen, africain…
Aux lecteurs de “Saveurs”, donc de #NOUS, je n’ai aucun conseil à donner, sinon celui de découvrir cet artisanat passionnant et d’oublier leurs repères. Michelin demande une explication de texte et s’en tient à une étoile? Qu’importe. Pour qui a poussé la porte du 9 rue Rocca, la seconde brille déjà.
Alexandre Mazzia pense aujourd’hui à réduire le temps d’ouverture de son restaurant. Sans doute pour trouver un nouvel équilibre, approfondir la réflexion, impliquer différemment son équipe, créer encore de la rareté, du désir. Plus que jamais, AM est une “affaire à suivre”.
Infos pratiques
- Adresse : AM, 9 rue François Rocca, 13008 Marseille
- Tél : 04 91 24 83 63
- Site : www.alexandremazzia.com
- Menu : Menus 44 € (dont un vegan) et 78 €.
- Carte : Env. 60/120 €