L’hommage que le monde de la gastronomie a rendu à Joël Robuchon cette semaine, presque aussi rassembleur que celui adressé, en janvier, à Paul Bocuse, est significatif à plus d’un titre.
Bien avant son décès, “Monsieur Paul” était entré dans l’histoire, précurseur, modèle et icône, intouchable sur le front des étoiles, imbattable sur celui de l’image et de l’émotion. La disparition de Joël Robuchon, personnalité hors normes et d’influence, quelque charisme en moins, s’inscrit dans un contexte différent. Rigueur, exemplarité, talent, étoiles, succès, argent, vision, réseaux, créativité, suprématie, transmission, excellence… On trouve dans cette énumération la recette complexe de la réussite, assortie de mots-clés : travail, valeurs, réseaux, compagnonnage… «Joël Robuchon était par essence le grand cuisinier universel comme avait pu l’être à son époque Auguste Escoffier. Il représentait aussi ce symbole du travail de la main, de l’artisan », confiait Michel Guérard lors de l’hommage de Poitiers. Robuchon aux 32 étoiles est désormais paré de la vertu ultime. L’universalité !
Après sa disparition, le monde des fourneaux et du pouvoir n’est pas pour autant dépeuplé. On connait les chefs qui marquent la gastronomie, voyagent loin et jouent un rôle déterminant, d’ordre culinaire, voire économique et politique. Ducasse, Gagnaire, Marx, Alléno et quelques autres… Adoubé par Paul Bocuse, Alain Ducasse est le mieux armé et de longue date. On s’incline devant l’empreinte mondiale, le talent visionnaire, la capacité à ouvrir sans cesse et tous azimuts de nouveaux fronts, une mécanique redoutable, le groupe Elior à ses côtés. Personne ne peut sérieusement contester cette dimension même si on tempère souvent l’hommage avec des mots comme distance, argent, business culinaire, proximité avec grands patrons et hommes d’état… Vérités et poncifs mêlés, on s’écarte du portrait prêt à l’emploi de Robuchon en artisan affable et madré ! Ducasse court le monde, accomplit, ouvre des tables et des voies nouvelles, traque le meilleur produit, délègue et galvanise les siens mais n’est pas dans l’empathie. Il impressionne mais ne rassemble pas, au sens bocusien. Tout à la fois réussir, marquer son époque et être aimé, il ne faut pas trop demander, surtout dans un pays où on peut vénérer un cuisinier, beaucoup moins un chef d’entreprise.
On oublie que la gastronomie, du moins celle qui est ambassadrice et universelle, est un terrain qu’il fait bon investir pour le monde du pouvoir, des affaires et de la finance. Joël Robuchon n’était pas absent de ce théâtre des opérations rémunérateur où les chefs les plus reconnus sont de plus en plus appelés. “L’après Robuchon” est donc déjà écrit. Dans un univers culinaire ouvert à la diversité et en demande d’acteurs de premier plan, il y aura toujours des purs, engagés corps et âme, et des metteurs en scène pour indiquer le sens de l’histoire. Et à ce jeu passionnant, c’est encore un chef français qui restera le maître.