Après trois ans d’absence pour cause de Covid, «Les Étoiles de Mougins» revivent avec une quatorzième édition dédiée aux Meilleurs Ouvriers de France et à Jacques Maximin, invité d’honneur (1). Excellentes nouvelles ! Mougins, cette grande classique comme on le dit en sport, nous a manqué. C’est un retour à la maison dont les fenêtres s’ouvrent à nouveau, comme en 2006 avec la première fête dédiée à Roger Vergé. Entouré de Bocuse, Guérard, Troisgros, Ducasse… le maître du Moulin faisait un tour d’honneur en Rolls dans son village alors le plus étoilé de France. Maximin fera-t-il le sien, au volant d’une Porsche ?
Avant même l’ouverture de ce festival, ce 18 septembre, on connait le cœur du sujet : le métier. Et son interprète, ce cuisinier «à part», affectif, charismatique, au savoir-faire immense, au talent batailleur. Non que Willer, Veyrat, Anne-Sophie Pic, Fréchon, Passédat, Marx, Boulud, Etchebest… aient démérité mais inviter Maximin à la table de Mougins c’est retrouver les couleurs, les parfums et saveurs d’un passionné qui avance, innove, interroge.
Avec ce fou de cuisine on est vite dans le concret. Il va au contact, bouscule, engueule, monte le volume puis s’apaise, file l’anecdote, rit de bon cœur. Pour qui l’interroge, il est un «bon client». L’enfant du Nord qui a séduit le Sud a tant à raconter, entré en cuisine à l’âge de treize ans et flamme intacte au delà des soixante-dix. «Pour apprendre avec moi, il faut me «voler le métier!» est sa phrase-culte. Pourquoi noter puisqu’il a tout en mémoire…
Maximin, çà se déguste et çà se discute. On l’a qualifié de pirate, de Bonaparte, d’Arsène Lupin des fourneaux, de légende… «Il est un des derniers grands chefs français vivants. C’est un meuble, un monstre » a écrit François Simon, «la» plume de notre métier, qui n’a pas l’éloge facile et dont on attend «le» livre sur Maximin, prochainement chez AD Ducasse édition.
Je l’ai suivi depuis mon premier article sur la gastronomie dans Nice-Matin. C’était il y a… quarante ans. Il avait déjà bouclé une partie de sa vie et avait écumé de grandes maisons, Prunier, Le Pré-Catelan, L’Hermitage… Doublement étoilé au Negresco – une première pour un palace – il n’avait pas encore ouvert son théâtre au cœur de Nice, aventure inédite et éphémère. Puis Le Diamant Rose à La Colle-sur-Loup (aujourd’hui le restaurant Alain Llorca), une parenthèse avant l’ouverture de «Jacques Maximin» dans sa maison de la campagne de Vence. Enfin Le Bistrot de la Marine au registre «malin marin », sa dernière escale, sur le front de mer du Cros de Cagnes.
Du palace au bistrot il n’a servi qu’un seul métier. Il est «tout dans l’assiette», croit toujours au restaurant, à son rôle, son atmosphère, sa magie, impossible à livrer à domicile, sinon au rabais. Bien sûr, pour la postérité, il est l’inventeur de la courgette à la fleur et au corps attenant, devenue grâce à lui un légume d’orfèvrerie façonné avec la complicité des frères Auda, dans la plaine du Var, près de Nice. On ne retient souvent que ce fait d’armes des années 80, au Negresco. Maximin, ses courgettes, ses colères… Il est surtout l’homme aux cinq cent recettes, créateur du tian d’agneau, du carpaccio de mulet à l’oursin, du filet de rouget sauce au foie et vinaigre de Banyuls, de la courgette fleur aux truffes, de la glace aux asperges vertes et pointes confites… Il est comme l’orpailleur fouillant la rivière avec son tamis. Chercher, oser, ne jamais renoncer. La cuisine est une fête mais aussi un combat. Avis aux nouvelles générations…
Il a lu ses classiques et cherché des vérités dans les livres («J’ai appris par cœur Escoffier. J’ai été le visiteur qui fréquentait le plus son musée à Villeneuve-Loubet »). Il s’en est inspiré et s’en est éloigné, trouvant sa voie, seul, en pur artisan. «De 14 à 30 ans, j’ai appris la cuisine des autres, ceux chez qui j’ai travaillé, celle qui a été écrite». Il doit à Vergé et à sa «cuisine du soleil» une liberté singulière. Les menus du Chantecler, au temps du Negresco, illustrés par César ou Moretti, écrits de sa main, en témoignent, comme certains plats improvisés en dernière minute.
Je l’ai cent fois entendu dire «je ne suis pas formaté!», pensant à ces disciples à la mécanique impeccable qui ne rompent pas les rangs des meilleures brigades. Impétueux, caractère parmi les plus trempés du milieu mais un savoir-faire «à l’ancienne», précis, rigoureux et la compréhension immédiate du produit. Quelle maîtrise quand il cuisine le poisson ou les légumes ! Il porte haut le métier, cuisinier et non chef starisé, comète passée à «Top Chef», le temps d’observer les coulisses, pas d’y être enrôlé. Victoires, coups d’éclats, bonheurs ou échecs, ce batailleur est peut-être le plus brillant et le plus couturé de tous et il fallut, un jour, sauver le soldat Maximin, respecté et protégé par les plus grands, comme Joël Robuchon et Alain Ducasse. La gastronomie peut être aussi une histoire d’amitiés.
Il est désormais dans la transmission, conseiller culinaire et chef en résidence dans l’École de Meudon d’Alain Ducasse. Meilleur Ouvrier de France comme on dirait Maréchal de France, il veille sur ce concours et en fixe les thèmes. Ainsi, pour égayer septembre, en entrée froide, « des filets de harengs doux fumés à la scandinave, accompagnés de 4 œufs pochés chaufroités au lait d’avoine et posés sur 4 disques de gaspacho de concombre collé, d’une purée d’oignons blancs-sky-raifort-acquavit et d’une vinaigrette au cassis ». Ou ce plat : «double côte de porc Noir de Bigorre marinée aux épices thaï, accompagnée de 4 papillottes de crevettes, de 4 mini-betteraves rouges farcies, de 16 gnocchis de butternut et de feuilles de sauge frites ». La vie des MOF n’est pas un long menu tranquille, alors candidats, bon courage !
Bardé de rencontres et de souvenirs, portant haut le labeur (on dit aujourd’hui «valeur travail»), capable d’épuiser encore quelques brigades, toujours un projet en route (transmettre ses Confidences culinaires, prochainement dans sa maison de Vence), Jacques Maximin vous semble peut-être de la génération «c’était mieux avant»? Il est pourtant d’actualité et pas seulement celle de Mougins. Il s’inquiète et s’interroge sur un métier qui a changé, accélère, semble basculer à tout instant mais invente toujours des talents nouveaux. Seront-ils des Maximin de leur temps ? Affaire à suivre…. Lui est libre, toujours en alerte et non duplicable.
(1) 150 chefs français et étrangers sont attendus, cuisiniers, pâtissiers-chocolatiers, charcutiers-traiteurs, bouchers, fromagers, sommeliers, maîtres d’hôtel… Trente démonstrations culinaires, une soixantaine d’ateliers et conférences, une exposition des Meilleurs Ouvriers de France, le village des chefs mouginois qui proposeront leurs spécialités, l’espace « Arts de la table » avec la Fondation Paul Bocuse; les concours « Roger Vergé – jeune chef » présidé par Jacques Maximin, coordonné par Christophe Quantin, MOF 1994 et le «Jeune chef pâtissier », présidé par Guy Krenzer de la Maison Lenôtre, MOF 1988 charcutier-traiteur et MOF 1996 cuisinier…