Lundi 5 février est donc le jour de Michelin ! Dans le milieu de la gastronomie et des critiques qui s’y intéressent, la semaine précédant la révélation des étoiles est cruelle.
On croit ou on dit savoir, on écoute les rumeurs et l’écho des rumeurs, on souffle le chaud et le froid, on appelle ses indics comme si on démantelait un trafic de drogue, on entend des voix comme à Lourdes et même le silence semble une information. Bref, on est Michelinés comme on dit être marabouté. Cà va durer jusqu’à l’annonce faite à la France par ce drôle d’oracle qu’est le guide rouge, moins les tirages du “petit” qui cartonnait au temps de Mao.
Ensuite, ce sera la lente désintoxication, jusqu’à l’année suivante. On continuera de dire et d’écrire tout le bien et le mal qu’on pense de Bibendum en regrettant de ne pas être né, comme lui, en 1900, de ne pas être le premier à avoir pris la route en conseillant des adresses où se restaurer en même temps que des instructions sur l’emploi des pneus, et un bon siècle plus tard, de sucer la roue de cet ancêtre toujours valide qui prétend faire un show sans son déambulateur.
Dernière station avant la fin du calvaire, Boulogne-Billancourt et cette histoire d’oscarisation, au sens hollywoodien, de l’édition 2018 ! Il y a de quoi sourire ou désespérer sous toques à l’idée de voir tant de chefs invités à se réjouir, remercier la France, Bibendum, Bocuse ou sa maman là où, jadis (1968), gauchistes et CGT s’étripaient autour de la Régie Renault. Tant d’appelés de Paris ou de provinces pour applaudir si peu d’étoilés, on lancerait des pavés, s’il en reste, au museau du directeur du guide !
Contrairement aux stars rompues à l’exercice – Frances McDormand, Meryl Streep, Daniel Day-Lewis ou Denzel Washington, parmi les pressentis cette année – rares sont les chefs qui ont un chapeau noir de magicien, l’art du verbe ou le sens du spectacle. Ils viennent ce jour-là parce que c’est leur métier, leur passion, leurs angoisses et leurs espoirs. Parce qu’être distingué est dérisoire et capital, qu’il est naturel d’avoir un ego et du talent et légitime d’être reconnu pour son travail et par ses clients.
Mais ce jour-là rappelle aussi l’ordre des choses. C’est Michelin qui décore et se met lui-même en scène sans réel danger de sortie de route, avec l’accord, voire la complicité de ses acteurs-figurants, étoilés ou non à la sortie. Et çà va marcher ! Je veux dire que les chefs, même ceux qu’on a fait lanterner et qui lanterneront encore (“patience, on vous suit!”), vont “marcher” et cautionner le show du guide suprême et merci pour ce moment ! Renault, Michelin, Hollywood, Boulogne-Billancourt… ce n’est pas demain la veille, la lutte finale !