“Affaire Bras-Michelin à la barre !… Sébastien Bras, vous êtes cuisinier, vous avez 46 ans et on vous accuse d’avoir demandé au Guide Michelin de ne plus figurer dans l’édition 2018 et d’être retiré de la sélection des 3 étoiles. Votre père Michel Bras avait obtenue la troisième en 1999 et vous l’avez conservée depuis dix ans sur le puech du Suquet, à Laguiole. Pour votre défense, vous invoquez la pression et votre désir de poursuivre dans l’excellence mais hors compétition…”
On peut imaginer un véritable procès instruit après la décision de Sébastien Bras d’abandonner ses 3 étoiles comme l’ont fait avant lui des chefs comme Antoine Westermann, Olivier Roellinger, Joël Robuchon (…aujourd’hui le plus étoilé au monde) et Alain Senderens. Mais le juge serait le Guide lui-même. Sacré cas de figure ! Demander à un juge de ne pas juger est sans espoir. Interpeller Michelin, quel que soit le ton, est une plaidoirie sans issue. Certains trouveraient même cet acte suspect. Quitter le paquebot Michelin cacherait-il une désaffection qu’aucune étoile ne pourrait enrayer ? La réalité économique serait-elle plus forte que la bénédiction du guide rouge, lui-même moins décisif que par le passé ? Et si le chef perdait ses nerfs à si haute altitude?…
Seulement, à Laguiole comme à Toya, sur l’île d’Hokkaïdo (Hôtel Windsor), au Musée Soulages de Rodez (Café Bras) ou face au viaduc de Millau, il y a quelque chose d’autrement sincère, propre à la famille Bras. Ici, le “goût pour l’Aubrac”, territoire plus que terroir. L’honneur des Bras, ces enracinés. Le grand’ père, maréchal-ferrant puis somptueux aubergiste au “Mazuc”, son fils Michel, éveilleur d’émotions et de goûts anciens, en quête de simplicité dans son vaisseau en pleine nature. Enfin, le talent de Sébastien à créer à son tour des plats qui doivent tant aux hautes terres du pays des burons, ces austères bâtiments de lauze et de pierre noire où les moines-chevaliers façonnaient autrefois les fourmes de Laguiole.
“Nous nous sommes tant aimés…”
Bras dit en quelque sorte au Michelin “merci pour tout, nous nous sommes tant aimés !” Il reprend le fil de sa vie, en redéfinit le cap et il y a peu de doutes sur l’excellence à suivre. J’ignore le détail ou la source exacte de cet acte de poète mais j’ai envie de le croire pur et authentique.
Il me semble même que ce “Bras de fer” ne concerne pas seulement Michelin, “juge suprême” renvoyé à ses études. On peut lire entre les lignes une lassitude du circuit médiatique et de la manière dont communication et information ont évolué, du plus institutionnel (Michelin) au plus improbable (les tréfonds de la blogosphère) ou au plus totalitaire (TripAdvisor…). S’écarter sans s’isoler du cours des hommages et tracer son chemin est aussi humble que courageux et oblige tous ceux qui écrivent ou interviennent dans le champ de la critique à une sévère introspection. Enfin, la gastronomie est aussi romanesque, parfois oeuvre d’art, et quoi qu’il en coûte à l’écrire, peut se passer d’instruments de mesure. Et quand la magie de l’Aubrac s’en mêle, ce n’est plus un simple changement d’étoiles, c’est une sagesse millénaire.
Infos pratiques
- Adresse : Bras, Rte de l'Aubrac, 12210 Laguiole
- Tél : 05 65 51 18 20
- Site : www.bras.fr
- Menu : Env. 130/220 €
4 comments
Comme dit Sébastien, ils ont relevé tous les défis, ont assuré et assumé… aujourd’hui, qu’ont-ils à prouver de plus ? N’ont-ilS pas droit au bonheur sans la pression ?… Ils peuvent se le permettre et c’est leur force, car qui dans le monde ne connaît pas “Bras” ? L’avenir est à eux et je leur souhaite le meilleur dans la sérénité…
Quelle magnifique table, quelles magnifiques personnes que Michel et Sébastien sans oublier Madame Bras. Je n’oublierai jamais ce dîner pendant lequel Madame Bras vint me dire : “le chef veut vous voir en cuisine Antoine”. Ce à quoi je réponds : “ce n’est pas possible Madame, le service est lancé.”
“Le chef veut vous voir en cuisine, il souhaite vous faire faire une tour de la cuisine”.
Quelle magnifique soirée terminée à 1h45 avec le chef sommelier en visitant la cave…..
Rien ne changera à Laguiole, j’en suis sûr!
A bientôt Sébastien.
Comme d’habitude, de jolis mots pour un bel article, Jacques 😉 Libre à M Bras de ne pas vouloir reconnaitre ou accepter une récompense, ou plutôt l’intérêt de Michelin de vouloir partager une adresse de cuisines merveilleuses…
Ça ressemble à ce Bob Dylan refusant d’aller à Stockholm pour un prix Nobel.
Un journaliste refuserait-il un Pulitzer…? un acteur refuserait-il un Oscar…? Quant à la “pression”, les chefs et leurs établissements ont la pression qu’ils veulent bien y mettre, Michelin ne les oblige en rien, ni personne d’autre.
Pour ma part, je trouve ça pathétique…
Je pense que les guides sont utiles pour donner au gastronome une indication, sans laquelle serait difficile rechercer de bonnes adresses. Donc je crois le restaurateur dois accepter la recension, s ‘il juge la guide serieuse et punctuel . Et ca pour une gentilesse envers les clients. En tous cas, souvent les guides ont determine le succes d’une etabliseement. Plutot ce sont des mecanismes du genre tripadvisor qu’il fallait fuire , pas possibile que des anonymes, souvent sans gout aucune, juges et detruit le travail du restaurant, ou au contrarie eleve a tres haut niveau des gargottes infames.