Chaque année c’est le même rituel. Le monde de la gastronomie espère, tremble et voit rouge à l’approche de l’édition aux étoiles du guide Michelin. Cette fois encore, et dans le pire des contextes (Covid, Ukraine…), l’attente est cruelle, même décentralisée dans la paisible ville de Cognac où sera dévoilé demain le cru 2022. Comme tout pouvoir aujourd’hui, il est plus que jamais contesté, qu’il juge à l’ancienne ou affiche une modernité nouvelle, croque le Fooding ou s’allie avec Tripadvisor, sanctionne les chefs à cheveux blancs et récompense des télévangélistes à peine sortis des jupes de Top Chef. Le contexte a changé, c’est peu de l’écrire. La grille de lecture n’est plus celle d’il y a vingt ans. L’irruption des réseaux sociaux, les aspirations nouvelles du client-consommateur, le contexte social et la montée des périls ont mis à mal le modèle économique de la table étoilée.
Faut-il suivre le guide ?
On ne veut plus d’une gastronomie barbante et arrogante, le buzz punit le cérémonial, le mouvement est partout et sur ce manège, le Michelin n’est plus maître du jeu. Mais l’important est que rien ne disqualifie le cuisinier, aventurier plus fragile mais plus agile, qui parfois jure renoncer au guide suprême mais rêve d’y voir son nom étoilé…
L’effet Donckele
Sans risquer un pronostic avant le verdict du jour , voici quelques tables du sud qui sont, pour moi, dignes d’étoiles. A commencer par Arnaud Donckele, 3 macarons depuis 2013 à La Vague d’Or (Hôtel Cheval Blanc Saint-Tropez) pourrait les obtenir également à Plénitude, la table gastronomique de Cheval Blanc Paris, au cœur de la Samaritaine. Pour sa conception humaniste de la cuisine, son art de la construction quand d’autres courent à l’épure, une recherche avancée dans le registre saucier, un rapport étroit et durable avec ses producteurs. Étincelant sur la Côte d’Azur et à Paris, il serait l’un des rares à être étoilé en région et en même temps dans la capitale et le seul à obtenir trois macarons dès son entrée en scène. Un pari, une bonne idée !
Droisneau, la révélation à Cassis
Le sud-est peut aussi compter sur ces chefs deux étoiles, proches de la troisième. A Cassis, Dimitri Droisneau (La Villa Madie) pourrait l’emporter, en disciple fidèle et talentueux d’Arnaud Donckele. Droiture et inspiration, sa table est une pépite en Méditerranée. Je pense aussi à Bruno Oger dont la «cuisine française» qu’il propose à La Villa Archange (Le Cannet) est tout en légèreté et précision, et qui est une valeur sûre, dans le viseur du Michelin. Mais cela fait beaucoup d’étoilés à cette altitude, entre Marseille et Monaco, alors qui, parmi les « anciens », pourrait être dégradé ?
Sanjou, Piétravalle… Allinéi
Pour l’accession à deux étoiles, Sébastien Sanjou au Relais des Moines (Les Arcs-sur-Argens), a pris une dimension nouvelle et en toute logique peut y accéder. A Beaulieu, Julien Roucheteau (Le Restaurant des Rois), Yoric Tièche au Cap (St Jean Cap Ferrat), Patrick Raingeard au Cap Estel ou Sébastien Broda au Cap d’Antibes (Louroc) sont des candidats sérieux. Mais dans les prochaines années la parole sera aussi aux Agitateurs (Nice), l’adresse surdouée de la bistronomie niçoise, dans le sillage de Flaveur des frères Tourteaux, qui n’ont pas le lieu à la mesure de leur talent 2 étoiles. Mais en Provence, au cœur d’Avignon, Laurent Pietravalle est, pour moi, un deux macarons en puissance, créatif et mesuré.
Enfin les 1 étoile, la classe qui apprend l’espoir et le danger, la patience et le risque. Sur la Côte d’Azur et sachant que le guide rouge ne peut pas accueillir tout l’enthousiasme du monde, j’aimerais y voir, aujourd’hui, demain, enfin au plus vite figurer Le Bistrot du Port à Golfe-Juan, pour la cuisine «marine» de Mathieu Allinéi sa créativité, sa vision du produit, ses saveurs voyageuses. Mais aussi Spelt à Tourrettes-sur-Loup, imbattable dans le rapport prix-plaisir. La Table de Kamiya (Cros de Cagnes), pour la clarté et la rigueur. L’Auberge de la Roche (Valdeblore), inédit en haut-pays niçois, plus Fooding que Michelin, mais si gourmand et chercheur. Sans oublier Quintessence à Roubion où Christophe Billau doit retrouver l’étoile injustement perdue… Mais le verdict approche, aujourd’hui à Cognac…