Après Bocuse, Robuchon… sale temps pour la gastronomie française ! La mort de ce maître de cuisine, le plus étoilé au monde est-elle celle du “cuisinier du siècle” ainsi consacré par GaultMillau en 1990 ? Dans ces moments de condoléances superlatives où beaucoup se glissent sur la photo, il n’est pas l’heure de discuter l’adjectif. Mais il était incontestablement l’un des plus grands, l’un des plus créatifs, ouvert aux autres cultures tout en défendant la tradition française.
Il était aussi proche des gens et, à sa manière, “grand public”. Robuchon et la télévision ! Début des années 2000, sur France 3, on ne dit pas encore “bon app’ !” mais “Bon Appétit Bien Sûr”. Le chef qui reçoit semble un père tranquille, timide, tellement province, pas un tatoué qui parle plus vite que son ombre. Il goûte, observe, corrige l’assaisonnement, rassure son invité, l’un de ses pairs qu’il met en vedette. “Aujourd’hui, joue de bœuf en pot au feu, poireaux, girolles et bouillon à l’huile d’olive…”. Le nouveau millénaire s’annonce à feu doux, il n’est pas encore le plus étoilé et ne sera jamais le plus médiatique mais sa bonhommie rassure et les français connaissent son nom.
Joël Robuchon ? Un père-la-rigueur. Parler doux et poigne de fer, technicien discret, impressionnant de maîtrise, au gramme près, l’un des maîtres de la cuisine du produit “simple et propre”. Les générations suivantes puiseront longtemps dans cet enseignement. Les nouvelles prendront elles le temps de s’en souvenir?
Au début des années 80, il fallait être sacrément costaud pour devenir, à 28 ans, chef d’hôtel (le Nikko) 2 étoiles, comme Maximin, tout aussi précurseur, l’était alors alors au Negresco. Et puis on n’en gagne pas trois en trois saisons (son restaurant Jamin, Paris 1982 -1984) comme on brille en quelques soirs à Top Chef.
Fils d’un père maçon et formé à la dure, débutant gâte-sauce dans les cuisines du Petit Séminaire de Poitiers, sa ville natale, Poitevin-la-Fidélité – son nom compagnonnique – a quitté la scène l’année où Bocuse a rendu sa toque. Quel parcours à méditer ! A table – facile – on retient la purée Robuchon (“elle n’attend pas et ne se réchauffe pas!”), plus que sa gelée de caviar à la crème d’asperges, parmi ses premières créations. 250 g de beurre, jusqu’à 500 g, dit-on, pour 1 kg de pommes de terre ! Dans le métier, on se souvient aussi, sans rire, qu’il voulut prendre sa retraite en 1996. Parole de poitevin n’était pas d’évangile…
Chacun reconnait sa maîtrise du concept de restauration, innovant avec ses “Ateliers” au décor rouge et noir, ouverts dès 2003 à Paris et Tokyo, son art de codifier, sa ténacité dans les rapports de force. Comme Alain Ducasse, qu’il vint défier à Monaco – et qui l’a édité (1) – il a ferraillé avec le Guide Michelin… dont il est aujourd’hui le chef le plus étoilé au monde.
Fou d’Espagne et de Catalogne, omniprésent en Asie, (Macao, Hong-Kong, Shanghaï, Singapour…), quasi demi-dieu au Japon, sa seconde patrie – au point d’ouvrir “Yoshi” à l’hôtel Métropole Monte-Carlo où Christophe Cussac, au “Restaurant Robuchon“, est un fidèle de la première heure – le voici entré dans quelque Panthéon de la gastronomie. Il est déjà en cuisine, partage son exigence et son savoir et veille à chaque temps de cuisson. Habillé de noir, bien sûr.
(1) Le Grand Livre de Cuisine de Joël Robuchon , Alain Ducasse Edition