Ici, c’est Cap 3000 mais côté Corso, l’espace premium, la «rue» chic du premier centre commercial de France où Alain Ducasse a ouvert Rivea en cours d’été. Additionnez ce nouveau restaurant et trois «comptoirs» dédiés aux produits haut de gamme – le chocolat (à la boutique séparée), la glace, le café – et vous avez Les Manufactures, réunies pour la première fois en un même espace dans un centre de grande chalandise par le chef multi étoilé. Simple aperçu de sa marche en avant : créer, des lieux, des collections, une atmosphère, surprendre, anticiper, être prescripteur, apporter une vision…
Rivea et Les Mabufactures participent de ce mouvement. Situé à l’entrée de Corso, côté Porte de la Plage, terrasse plein sud et vue mer, le restaurant n’est pas seul en scène et partage le segment avec des enseignes voisines comme Joseph, Fauchon ou Ladurée. Parois vitrées, dominante vert-bleu, triporteur-glacière posté en sentinelle dans la galerie, comptoir de lave émaillée des glaces et sorbets, exceptionnelle collection de cuivres de cuisine comme une bibliothèque d’art, Rivea réussit son entrée et donne envie de s’attabler.
Le goût de l’époque s’exprime aujourd’hui de mille manières, multiplie décors, styles et cuisines et intime à un restaurant, même le plus muet, de «raconter une histoire»… Celui-ci puise son inspiration aux quatre rives de la Méditerranée, thématique fondamentalement ducassienne. C’est le partage des suds. Une fois admis qu’on n’est pas à Monaco sous les ors du Louis XV, dédié à la haute gastronomie, mais dans un lieu ouvert qui exprime de multiples saveurs et terroirs, on s’entiche de cette adresse élégante qui voit plus loin que les thématiques de Provence et des Rivieras.
Son ouverture tardive, en pleine saison, n’a pourtant pas facilité la tâche des équipes et du chef Adrien Beha, passé notamment à l’Andana en Toscane, La Bastide de Moustiers, Le Meurice et Monaco. En cours d’été j’ai découvert une carte éloquente qui pensait juste mais cherchait encore ses marques et la rigueur de certains plats. J’ai aimé la fraîcheur ludique de la marmelade de courgette et marjolaine, mozzarella di bufala fumée et sorbet citron, comme l’approche orientale du chawarma de bœuf aux épices et salade fattoush libanaise. Mais je suis resté insensible à la pastèque déshydratée, pourtant «si créative», avec feta, jus de grenade et sorbet groseille-framboise. La légèreté du vitello tonnato en fines tranches, câpres et sauce au thon distrayait du modèle piémontais mais la finesse méditerranéenne du dos de maigre doré, fenouil et citron confit m’avait échappé.
Rivea a corrigé peu à peu sa copie. S’il n’est pas «bon en tout», il ouvre des horizons culturels et varie les plaisirs, des mezze libanais à la caponata, du Croq’ Corso et mesclun niçois aux pâtes sèches casarecce, natives de Sicile, pistou et parmesan ou à la spanakopita grecque, feuilleté blettes, feta et épices. Enfin, vive son univers de glaces artisanales, sorbets et granités, une dizaine, tradis, chocolatés ou vifs argent, Melba ou Liégeois, affogato praliné noisette et crème, au bonheur de l’expresso, ou un intenable agrumes-vermouth, sorbet pamplemousse, citron et granité Campari particulièrement rafraichissant.
Voilà une belle table de curiosité en terre de luxe où on prend son temps. Ouverte non stop au grignotage et à la dégustation, service attentionné, prix accessibles à une large clientèle, l’escale signée Ducasse vaut incontestablement le détour et la mention “bien manger” mais n’a pas encore gagné la partie. Lumineux et charmeur le jour, le restaurant doit prouver qu’il est, aussi, un rendez-vous du soir quand ferme le centre commercial (21h), non une destination brillante et esseulée.
Quant au futur… affaire à suivre. Il n’est pas uniquement inscrit dans son savoir-faire et son esthétique réussie et tient à la manière dont Cap 3000 et son espace luxe vivront la conjoncture prochaine. Mais cette création a du sens et, grand beau ou vents contraires, indique le seul cap à tenir. La Méditerranée.
Rivea, Cap 3000, av. Eugène Donadeï, Saint-Laurent du Var. Niveau 1 Espace Corso. Tel : 04 83 66 05 54. Menus déjeuner 28 et 36 €. Carte env. 45/58 €. Ouvert 7/7 de 8h30 à 22h30. restaurant.rivea@ducasse-paris.com