Inutile d’ajouter au débat sur l’égalité hommes-femmes, dans quelque domaine que ce soit, mais la récente victoire de Julia Scavo à la 17e édition du «Master of Port » à l’Ambassade du Portugal à Paris, a une saveur particulière.
C’est la première fois qu’une femme remporte ce concours international couronnant l’excellence des sommeliers experts en Vins de Porto et il est peu étonnant que ce titre lui revienne. «J’aime la fièvre des concours, pas seulement pour la compétition mais aussi pour l’opportunité d’évoquer la dimension culturelle d’un vin ou l’esprit d’un vignoble», dit la sommelière de Beaulieu-sur-Mer, vainqueur devant onze candidats, dont Frédéric Woelfflé, de l’Hôtel Métropole à Monaco.
Les concours sont sans doute l’un des lieux d’expression de Julia, membre de l’Association des Sommeliers Nice Côte d’Azur-Provence, mais elle est en effet bien mieux qu’une «bête à concours». Son palmarès est éloquent. Notamment sa victoire au Master of Port 2012, puis 5e au Championnat du Monde de Sommellerie 2013, 3e la même année à celui de Meilleur Sommelier d’Europe et en mai dernier à Vienne, où elle représentait la Roumanie, sa place de (3e) finaliste avec David Biraud (Le Mandarin Oriental, France), Piotr Petras (Pologne) et le vainqueur Raimonds Tomsons (Lettonie)…
Dans un milieu qui s’ouvre, si lentement, aux femmes (notamment Estelle Touzet, désormais chef sommelier du Ritz Paris), cette roumaine de Craiova, épouse de Bruno Scavo, chef sommelier à la Société des Bains de Mer à Monaco, qu’elle a rencontré à Vinexpo 2009, a surtout la passion et la culture du monde du vin. Quand elle s’appelait encore Iulia Gosea, elle m’avait raconté son enfance et son parcours pour mon article dans Nice-Matin. Danse, musique classique, langues, études littéraires (elle lit Sartre, Proust, Camus, Ionesco…), cuisine (soupes roumaines et plats français) et lectures gourmandes, d’Escoffier à Bocuse.
À 14 ans, elle publie une pièce de théâtre, étudie les mathématiques – sa “poésie de l’infini” – devient major de promotion dans le premier lycée de Roumanie. En 2002, elle s’inscrit à l’Université Claude Bernard de Lyon pour devenir ingénieur en sciences appliquées… mais sillonne marchés de villages, vignobles et fêtes du vin en Bourgogne, Vallée du Rhône et Beaujolais, s’inscrit à l’université du vin de Suze-La-Rousse et change de voie. 2e meilleur sommelier du Trophée de Roumanie 2008 (déjà une première pour une femme), demi-finaliste au Championnat du monde 2010 à Santiago du Chili ou encore auteur du livre de cave de la famille royale de Roumanie, voila autant d’épisodes d’une carrière atypique, qui passe, sur la Côte d’Azur, par Nice (“L’Ane Rouge” de Michel Devillers, Keïsuke Matsushima) et Monaco (l’ex Trattoria au Sporting).
Energie stupéfiante, humilité, rapidité d’analyse, cette licenciée en mathématiques qui a surmonté jalousies et parfois xénophobie, reste sur une ligne, autant culturelle que technicienne, qu’on lui a souvent reprochée. “Je présente un vin comme je le ferais d’un roman, d’une symphonie ou d’une oeuvre d’art”. C’est dans cet esprit qu’elle a remporté le Master of Port, en faisant partager sa connaissance des vins de Porto et de leur contexte historique et culturel. Une nouvelle marche pour Julia, désormais conseil en vins (1), qui n’a pas fini de découvrir, se passionner et gravir d’autres sommets de la haute sommellerie.
(1) Julia Scavo Formation Conseil (voir sa page Facebook).