Eugénie Béziat (La Flibuste), Maxime D’Orio (La Goguette), Lucas Marini (L’Arazur) et Thibaud Durix (Le Local), ces chefs du Var et des Alpes-Maritimes sont les jeunes talents Côte d’Azur que j’ai retenus dans ma sélection du 1er janvier 2021. Autodidactes ou «ex de», connus des critiques, parfois bien notés mais sans médiatisation excessive, certains tiennent des «petits» restaurants où l’assiette compte plus que le nombre de mètres carrés… Ou «tenait» pour l’un d’eux, désormais chef à domicile. Dans le contexte de gravité que l’on sait, ils font leur métier avec engagement et discrétion et tiennent déjà de belles promesses. Avec quelques autres qui auraient pu partager cette sélection, ils seront, je l’espère, parmi les acteurs d’une année de tous les dangers mais aussi de reconquête.
Eugénie Béziat (La Flibuste à Villeneuve-Loubet)
Au pied de l’immeuble Commodore, comme chaque week-end cet hiver, c’est matin de marché à La Flibuste. Samedi et dimanche, Roger Martins, son propriétaire, et Eugénie Béziat, sa chef étoilée, partagent avec clients et petits producteurs un moment de convivialité. Foie gras, cakes, vin chaud, simplicité et gourmandise.
Formée chez Michel Guérard à Eugénie-les-Bains (un signe !) et Michel Sarran à Toulouse, puis chef exécutif à La Roya à Saint-Florent en Haute Corse, elle apporte depuis deux ans toute son énergie au restaurant de Marina Baie des Anges que Samia et Roger Martins ont métamorphosé. Perfectionniste et à l’écoute quand d’autres prennent le métier à l’envers. Sur la Côte d’Azur où les talents féminins sont rares, sa progression réjouit. Recherche, envie, associations de saveurs, bonheur évident de cuisiner… une suite qu’on espère retrouver si 2021 ne ressemble pas à 2020, maudit millésime.
Alors, table ouverte à d’autres plats, semblables à la pomme de ris de veau laquée au jus de betterave, chapelure de pain au cacao et grué, espuma betterave, jus de veau infusé à la fève de cacao ou à la langoustine aux baies de verveine, glace des têtes, poire d’hiver et desserts confiés à Pascal Picasse, chef pâtissier et ex complice étoilé de Sébastien Broda, au temps du Park 45, restaurant du Grand Hôtel à Cannes. Révélée au pied des pyramides, Eugénie apprend, avance et n’a pas fini de surprendre.
La Flibuste, immeuble Commodore, Marina Baie des Anges, Villeneuve-Loubet. Tel. 04 93 20 59 02.
Maxime D’Orio (La Goguette, au Castellet Village)
Nous n’irons plus à La Goguette, impasse de l’Homme de Paille, au Castellet. L’adresse jouait en petit comité mais douze mètres carrés pour seize couverts est intenable par temps de pandémie. Maxime d’Orio, natif du village, en a tiré les conclusions, a fermé la maison où, ado, il apprenait à couper les légumes puis est devenu chef à domicile, secondé par Stéphanie. Formé chez Marc Meneau, disparu mi décembre, au Park Hyatt Vendôme auprès de Jean-François Rouquette puis chez Régis Marcon, il goûte aujourd’hui une liberté nouvelle.
«Hors les murs» mais légitime dans cette sélection, artisan-cuisinier à l’esprit locavore intact : légumes de Saint-Cyr et Sainte-Anne d’Evenos, pêche de Sanary, pain au levain du Castellet («La Femme du Boulanger»). Je garde le souvenir de son risotto «vert», du poulpe mariné, grenailles, poireaux grillés et mayonnaise au jus de crustacé, d’une tartelette mousse-mangue, crémeux citron au yuzu. Plongeur dans sa Méditerranée ou surfer en Pays Basque, il a fait un choix de vie, cuisine sans stress et progressera encore. Sa gastronomie est ouverte sur le monde et la demande ne cesse de monter entre Hyères et Marseille pour réserver «Maxime chez vous». Goûtez son épaule d’agneau confite, purée de patate douce au curcuma ou le cochon confit et croustillant aux saveurs d’Asie et vous verrez des étoiles.
Réservations au 06 10 83 22 50. Menus 45 et 70 €.
Lucas Marini (L’Arazur, à Antibes)
A consulter le parcours de Lucas Marini on imagine quelque énarque programmé pour la gastronomie de pouvoir. Erreur. Lucas et Jeanne, sa compagne, ont sans doute vu du pays et connu de grandes maisons, pour lui, Le Meurice avec Yannick Alleno, Le Grand Véfour de Guy Martin, Ledoyen et Christian Le Squer, Le Mirazur de Mauro Colagreco… Jeanne, en salle et en cuisine, Le Bristol avec Eric Fréchon, L’Astrance de Pascal Barbot, Jean Georges Vongerichten à New York, Mauro Colagreco à Menton, mais ce n’est pas en vainqueurs qu’ils ont conquis Antibes où percent d’autres bonnes tables. Lucas cuisine précis, actuel, délicat et L’Arazur séduit bien au delà des remparts d’Antibes.
Au temps de Noël, qui l’aime l’a suivi sur le mode «à emporter», savourant saint-jacques poêlées, chou-fleur, noisettes, sauce cresson et oseille, un homard bleu, champignons sautés, pistache et bisque au vin jaune, le turbot poché, topinambour à la ciboulette, beurre blanc au curcuma, palourdes et légumes ou encore la pintade roulée, farce de girolles et truffe noire. Pour un exercice de barquettes, du grand art. Lucas avoue l’influence de Christian Le Squer pour les fondamentaux et de Mauro Colagreco pour la créativité. Ces deux mentors connaissent-ils sa jeune adresse au décor de table d’hôtes ? Le guide Michelin, sans doute, mais à quand l’étoile ?
L’Arazur, 8 rue des Palmiers, Antibes. Tél. 04 93 34 75 60. Vente à emporter.
Thibaud Durix ( Le Local à Toulon)
Dans le quartier du Mourillon les restaurants de plage occupent tout l’espace mais en retrait, voilà plus intimiste. Le Local de Thibaud Durix, passé à l’Hôtel du Castellet au temps de Nicolas Sale, auprès de Jean-François Bérard à La Cadière-d’Azur et de Dimitri Droisneau, alors à La Réserve de Beaulieu. Pour avoir croisé tant de jeunes loups formatés, j’aime son authenticité, sa maîtrise du circuit court, ses liens avec les producteurs locaux. En terre de rugby, on dirait qu’il va au contact.
Dans son «p’tit resto» tenu avec Caroline il est au Mourillon ce que Bruno Cirino est à La Turbie. Exigeant, cherchant le meilleur produit avant d’esquisser le premier geste en cuisine. Son quasi de veau, palets de polenta à la marjolaine, purée de butternut et cèleri rave confit est l’exemple d’un plat concis réalisé par un chef en pleine évolution.
Au menu de Noël «à emporter», le phrasé promettait des plats comme autant de cadeaux sous le sapin : noix de Saint-Jacques de la Baie de Saint-Brieux juste poêlées, cèleri cuit à l’étouffée, agrume et truffe noire ou filet de boeuf d’Aubrac, petit chou farci à la mousseline de pommes de terre et noisettes du Piémont… La valse des confinements a changé la donne, pas le fondamental. Ce chef qui ferait vibrer sans peine Nice ou Marseille mérite davantage de lumière, certes armé d’un Bib Gourmand et d’un 13,5/20 au Gault&Millau mais sans étoile au guide Michelin. Thibaud Durix en rêve-t-il chaque matin en cuisinant ?
Le Local, 455 littoral Frédéric Mistral, Toulon. Tel. 04.94.20.61.31. Menu 27 € de mardi à sam. Menu Noël 50 €. Commandes en ligne : https://www.restaurant-lelocal.fr/order