Le cheminement à travers le village et le charme vertigineux de cette ancienne demeure de Guillaume de Suède ne sont pas une découverte mais on s’étonne toujours que la gastronomie ait trouvé une place dans ce nid d’aigle dominant la Méditerranée. Elle y a pourtant connu de riches heures avec des chefs de talent comme Bruno Cirino, Dominique le Stanc, Pierre Daret, qui apporta l’étoile, Axel Wagner, resté dix ans aux fourneaux, ou dernièrement Mathieu Gasnier.
Mais aujourd’hui, voilà un souffle nouveau. Ancien du Crillon au côté de Christopher Hache, formé auprès d’Alain Senderens, Guy Martin, Michel Guérard et Eric Fréchon, Justin Schmitt était, il y a un an encore, le chef étoilé de Laurent, où il avait succédé au cannois Alain Pégouret. Puis il s’en est évadé et a pris de la hauteur. Il est incontestablement le nouveau talent du Château Eza.
Il signe son entrée par un rocher évoquant le corail des fonds marins qu’il a dessiné et fait réaliser par Élodie Meirsman, céramiste d’art en Pays de Loire (www.loceramic.fr). Posée sur table, cette pièce de dégustation avec bulots mayo à l’estragon, tartelette à la crème de chou-fleur, coques, œufs de truite, salicorne, huître Giol et sa perle de culture kiwi, donne le ton (iodé) d’une cuisine tout en finesse. La raviole végétale de tourteaux, jus au céleri de lard fumé, huile de coriandre, le carré de cochon de lait rôti, épaule confite, condiments de dattes et citron confit, jeunes blettes étuvées et gnocchis, jus à la marjolaine sont de haute précision gourmande.
Quant au saint-pierre en écailles de fleurs de courgettes, glacé d’un voile de bouillon de crevettes, crème de courgettes blanches et basilic et en side la fleur farcie, marmelade citron, râpée de courgettes, bouillon de crevettes grises, gingembre et citronnelle, quelle fresque ! On termine avec un délicieux crémeux chocolat Taïnori (de République Dominicaine), sauce légère au poivre sauvage, sans avoir fait l’impasse sur les fromages de Thomas Métin, connu des amateurs, à Vence comme à Nice.
Cet univers n’est pas sans rappeler celui d’Arnaud Donckele dans son restaurant Plénitude au Cheval Blanc Paris. Donckele pousse loin l’art de sublimer les sauces et en fait même le fil majeur du récit. Sauces, jus, condiments, arômes, couleurs (le vert, sa passion), jeu d’agrumes, vérité du produit… Justin Schmitt séduit par sa justesse, sa sensibilité, sa compréhension du lieu et apporte au Château Eza une recherche inédite.
La salle aura bientôt ses habits neufs, l’accueil est à la hauteur de l’enjeu et la maison au charme médiéval dirigée par Robin Oodunt retrouve toute son ambition. Alors que les deux étoiles d’Arnaud Faye brillent au Château de la Chèvre d’Or, on ne devrait pas attendre longtemps celle de Justin Schmitt, la révélation du Château Eza.
22 rue de la Pise. Tel. 04 93 41 12 24. Menu déjeuner 65 €, menu dégustation 130 € (6 services). Carte env. 125/140 €.