La Chèvre d’Or a toujours eu la tête dans les étoiles et des chefs de talent pour les conquérir. La passation de pouvoir entre Arnaud Faye et Tom Meyer à la tête des cuisines de cette maison emblématique de la Côte d’Azur, n’a donc rien d’étonnant. Le premier a rejoint Paris et l’épopée du Bristol où il succède à Eric Frechon après huit années de grande maîtrise à Èze-Village. Le second était son protégé et le choix de Thierry Naidu, directeur général du Château de La Chèvre d’Or. Aujourd’hui il est incontestablement au rendez-vous.
La transmission, réussie et menée comme une guerre éclair, a pris de court professionnels et medias.
L’arrivée de ce jurassien de trente ans est un événement sur la scène gastronomique de la Côte d’Azur et témoigne de la maturité d’un chef qui conduit son métier avec assurance et méthode . Formé auprès de quelques pointures, Philippe Rochat à Crissier (Suisse), Ronan Kervarrec à… La Chèvre d’Or (sa première « visite » en 2015), Lameloise à Chagny, Anne-Sophie Pic à Valence, où il est alors chargé de la recherche et développement, précieux poste d’observation, Tom Meyer a également programmé et maîtrisé le temps des concours. Prix Taittinger 2017, 2e au Bocuse d’Or France, Meilleur Ouvrier de France 2022… Après avoir apporté en 2021 une étoile à Granite, son premier restaurant à Paris, il est désormais en pleine lumière dans une région où la gastronomie a ses places fortes mais ne crée plus guère de surprises si on excepte l’étincelant trois étoiles de Fabien Ferré, 32 ans, à l’Hôtel du Castellet dans le Var.
A La Chèvre d’Or, déjà doublement étoilée, il apporte une nouvelle perspective. Un déjeuner de sa main m’a ainsi redonné du cœur à l’ouvrage. Dès les amuse-bouche, ce temps d’échauffement souvent traité à la légère, Tom Meyer donne le ton, délicat et percutant. L’huître (Maison Giol à La Seyne), fraîcheur de vin blanc, échalotes et livèche, le tartare de coquillage, brocoli, verveine, menthe, pain aux tomates et olives noires, la tartelette de chèvre et pastèque rôtie au negroni, le tartare de veau en gelée sur shiso frit. En cours de dégustation aucun plat ne perdait en vivacité ou délicatesse, chacun en alerte maximale (choix du condiment, cuisson, jus, assaisonnements…) dans cette fulgurante entrée en scène.
Alors que trop d’assiettes jouent les animaux savants, on pourrait objecter le dressage, graphique, pictural, touchant parfois au chef-d’oeuvre. Au contraire, le savoir-faire et la beauté du geste suivent un même chemin. Au menu Horizon, le bien nommé, cette gastronomie mêle ainsi tradition, nuances et modernité. La tomate Roma, tout en concentration, évoque une tarte ancienne, cacahuète et tagète passion. Le mulet de Méditerranée est une aquarelle de crevettes grillées teintée de basilic. Vient ensuite la bonne idée de la sardine préparée au guéridon par Yann Vayé, l’excellent directeur du restaurant, avec criste marine, caviar et nuances de vert.
Ce jour là, c’était branle bas sur la pêche du jour avec un «Saumon des Dieux » pêché au large de Sanary, accompagné de courgettes, capucine et géranium rosat. Tom Meyer ne pouvait manquer la rencontre avec ce rare poisson des abysses au sang chaud et aux couleurs de paradis. La cuisson parfaite du pigeon, traité dans son entièreté, laqué d’une pâte de cerise, blette et népéta, cuisse confite et panée, allié à la prune d’Ente, richesse des vergers agenais, offrait ensuite une émotion plus attendue et une remarquable palette de couleurs. Enfin, la framboise Tulameen, star parfumée au vinaigre balsamique, sorbet à la roquette, témoignait du talent de Florent Margaillan, le chef pâtissier.
Une grande cuisine s’installe, remarquablement suivie en salle, où Mathieu Selier, le chef sommelier, successeur de Philippe Magne, propose flacons de prestige et vins découverte (Alsace Valentin Zussler Sunna 2018, Tokay sec 2019 Belassa Szent Tamas, Côtes de Provence Clos Cibonne, cuvée prestige 2015…). On cherche alors l’adjectif : ce style de cuisine est-il clivant, radical, audacieux ? Rien de tout cela. Sur ce territoire, aucune convention ou redite et rien d’aventureux dans le jeu des contrastes. Tom Meyer apporte une palette de couleurs et saveurs, des constructions poétiques et sa rigueur d’exécution à la Chèvre d’Or, qui pourtant en a vu d’autres. Il suffit d’écouter le témoignage de Jacques Maximin, le maître des horloges du concours de Meilleur Ouvrier de France, qui l’a vu en action au cours des épreuves : «C’est un «sacré client», un grand cuisinier, réservé, créatif, organisé, qui a une réelle sensibilité et une vision claire du métier. Il est impressionnant et il ira loin». Tout est dit.
• La Chèvre d’Or, Château de la Chèvre d’Or, Rue du Barri, Èze Village. Tél. 04 92 10 66 61.
Déjeuner menu Horizon (6 services) 220€. Sentier du littoral servi tlj sauf dimanche et fériés 140€. Dîner menu Horizon (8 services) 340€. Sentier du littoral 270€. Ouvert tlj jusqu’au dîner du 12 octobre 2024.