Ceux qui appellent toujours la Côte d’Azur «Riviera» savent quel hôtel romanesque est le Belles Rives. Ils ont la nostalgie des années trente et relisent peut-être «Tendre est la nuit», roman du charme et de l’éphémère qu’écrivit Francis Scott Fitzgerald dans ce qui était alors la Villa Saint Louis. Premier hôtel pieds dans l’eau de la Côte d’Azur, il est unique, à l’écart de tout design «palace». Marianne Chauvin-Estène – et son fils Antoine, qui le dirige désormais – en a fait une adresse de collection, vivante et désirable, non un album de souvenirs. L’environnement, l’histoire, le nom même du restaurant – «La Passagère» – la terrasse aux bougainvillées, la plage, le Bar Fitzgerald, remarquablement restauré (sa fresque murale est une invitation au voyage), le prix littéraire (1)… c’est le coup de cœur permanent.
Mais que dit la gastronomie dans cet hôtel si cultivé ? Elle a brillé, a tenu son rang et s’est parfois inclinée, devant la magie Art Déco. Aujourd’hui, il se passe autre chose. Aurélien Véquaud, depuis six ans chef exécutif de La Passagère, ouvre un horizon nouveau. J’avais un peu perdu de vue l’évolution de ce vendéen qui a travaillé notamment avec Olivier Brulard puis Yannick Franques à La Réserve de Beaulieu, aux côtés d’Arnaud Donckele au temps de La Pinède à Saint-Tropez et au Palm Beach de Porto Vecchio.
Fin août, j’ai retrouvé un cuisinier étoilé à minima (un macaron Michelin) mais créatif, bien entouré et en pleine confiance. Il s’amuse d’abord à brouiller les pistes avec le préfou, recette de sa terre natale, ail confit et poivre noir, pain sans levain utilisé autrefois pour tester la chaleur du four à bois.
Mais une entrée du menu Green Light, la tomate cœur de bœuf (de Cabris), crème glacée à la robiola (toute la douceur de ce fromage piémontais) et beurre d’eau de tomate, remet les priorités en place et installe chaque plat dans la vérité du goût quand d’autres cisèlent dans le vide.
Le thon rouge de Méditerranée, tomate mi-confite au galanga, vinaigrette glacée à la roquette, comme la langoustine maturée, courgette trompette grillée, nage au calamondin (petit agrume chinois), témoignent d’une partition délicate et précise mais surtout d’une avancée gustative où dominent la mer et le végétal (le haricot vert, salicornes et nage d’agrumes).
Comme dans un roman, l’important est aussi de réussir la chute. Steve Moracchini, le chef pâtissier – onze ans à La Passagère – sublime le concombre, ce mal aimé, avec l’aloé vera et le Gin 44N de Grasse. Il concilie les mirabelles et la sarriette, une crème crue de Normandie, une mauresque au pastis bio de la distillerie artisanale Lachanenche en Ubaye et réussit le final avec un délicieux chocolat noir infusé à la criste marine.
La continuité entre les créations du chef et les siennes, leur complicité de duettistes, le service de grande maison fort attentionné, dirigé par Damian Sanchez Pérez et Luca Allieri, son adjoint, les fins conseils du chef sommelier Aymerick Verdi (le bandol blanc du Domaine La Bastide Blanche, bienvenu avec l’esquinado ou la langoustine)… font de La Passagère une table courtisée par une clientèle internationale qui adore le style et l’esprit du Belles Rives. Aurélien le sage n’a pas brûlé les étapes mais il s’installe aujourd’hui parmi les meilleurs du grand sud. Que pense le guide Michelin de cette échappée belle en Riviera, si proche de deux étoiles ? Réponse lors de la cérémonie de l’édition 2024 qui se déroulera à Tours le 18 mars prochain.
(1) Le prix Fitzgerald, créé en 2011 par Marianne Estène-Chauvin, a été remis cette année à Quentin Tarentino pour «Cinéma Spéculations» (Ed. Flammarion)
La Passagère, Hôtel Belles Rives, 33 Bd Edouard Baudoin, Juan les Pins. Tel. 04 93 61 02 79. Menus 155 € (Green Light), 195 € et 235 € (6 services). Fermé lundi, mardi. Fermeture annuelle le 30 octobre, ouverture en avril 2024.