Provence ! Ce mot-clé est censé ouvrir toutes les portes de l’art de vivre, de la gastronomie et de l’hospitalité hôtelière. C’est souvent le cas mais n’empêche pas, en son nom, les décors surjoués, les recettes improbables et les potagers d’opérette… La Bastide de Moustiers, qu’on qualifie souvent de «maison de cœur d’Alain Ducasse», exprime tout le contraire. Résidence de maître faïencier découverte en 1994 par le chef multi étoilé, elle est devenue une demeure de charme sans guère d’équivalent.
Passé par le Louis XV à Monaco dès 2016, puis au Grand Contrôle à Versailles, Adrien de Crignis est depuis l’an dernier le chef de cette maison étoilée, personnelle et authentique. Esprit d’Alain Ducasse es-tu là ?… Inutile d’attendre quelque signe pour s’en assurer ou de brandir les mots du moment comme bio, locavore ou le délicat «zéro déchet» qui plombe l’appétit, à peine prononcé. Ce chef de 28 ans interprète une gastronomie d’aujourd’hui, gourmande et légère, au sourcing bien conduit et délivrée des poncifs de terroir. Sa cuisine est sans doute moins «à la campagne» que celle de la première heure, confiée en 1995 à Sonja Lee puis à Benoit Witz, qui fut le véritable premier de cordée, au temps du cochon de lait à la broche tournante ou du pain coupé au couteau de Nontron. Mais elle a une assise nouvelle, enracinée tout en étant d’actualité et répondant aux codes ducassiens comme exigence, curiosité, vérité du produit, quête de simplicité…
Tout proche, le potager aux plantes aromatiques et légumes anciens, créé par Jean Mus, rappelle l’engagement originel, quand on ne parlait pas encore de naturalité ou de prédominance du végétal. L’automne dernier, lors d’un dîner proche de la clôture annuelle, j’ai goûté un pigeon sur la braise à la tendreté absolue, céleri rave et poire Guyot, et un cookpot de millet sauvage, basilic pilé et légumes d’un minestrone, véritable ode au végétal. Le midi sur la terrasse ombragée rayonnaient un risotto aux cèpes, levure torréfiée et un blanc-manger myrtilles-cassis. Un bonheur.
En ce début d’été, j’ai retrouvé les mêmes fondamentaux, recette de Méditerranée ou de haut-pays, produits sourcés, de Moustiers et alentours ou cueillis au jardin de la Bastide. Les asperges vertes, sabayon aux œufs de truite et poutargue ; des linguine de Gragnano aux anchois et citron confit ; la délicatesse d’un thon rouge à peine cuit, asperges et salicornes. Et puis l’agneau à la cheminée , oignon primeur, radicchio et «ail des ours», plante sauvageonne à la fraîcheur de sous-bois, enfin des cerises bigarreau, sorbet aux herbes du potager magique. La ligne ducassienne est bien là, armée de son sens du détail et du lien étroit recherché entre le lieu et l’assiette. Ici on apprend qu’il ne faut pas tout attendre de la Provence, mais beaucoup lui donner et Adrien de Crignis applique à la lettre ce devoir de passion.
L’accueil complice et chaleureux de Mathieu, l’attention du jeune service, l’atmosphère intimiste et les pièces de collection de la salle à manger et des salons, l’environnement du Parc régional naturel du Verdon et pour qui se contente du meilleur, le Bastidon, suite au jardin paysager privatif, coin secret aux objets chinés et pièces rares… La Bastide, conduite par Sarah Chailan, qui en connait chaque pierre et en préserve l’âme, l’hospitalité et l’équilibre, reste comme on l’a toujours aimée. Une demeure d’hôtes, d’art et de soleil, protectrice et raffinée. Un livre ouvert sur la Provence.
hh
La Bastide de Moustiers, Chemin de Quinson, Moustiers-Sainte-Marie. Tél 04 92 70 47 47. Carte-menus 85, 95 et 105 €. Menu champêtre à déjeuner 60 €. Onze chambres et deux suites.