En 2005 Marcel Ravin devenait le chef du Blue Bay, la table gastronomique du Monte-Carlo Bay, resort de la nouvelle génération avec piscine sous serre et lagon de sable fin. A l’écart des palaces historiques, bien peu misaient sur ce Martiniquais de vingt et un ans, passé par un Relais & Châteaux d’Alsace et des hôtels Méridien à Lyon et Bruxelles. On saluait sa cuisine métissée et novatrice mais aussitôt cataloguée «exotique». La première étoile, remise dix ans plus tard, avait traîné en route. La seconde, obtenue cette année, reconnaît enfin ce talent insulaire qui n’oublie pas le jardin créole de son enfance mais place Monaco au cœur de sa géographie sentimentale (1).
Ses deux menus de printemps, élaborés avec Pascal Bodevier, son second, témoignent que le guide Michelin ne s’est pas trompé de chef ni d’adresse. Les premières notes défilent dans une certaine profusion et s’emboitent à merveille, tantôt en douceur, tantôt percutantes.
C’est l’encornet de Méditerranée à la flamme, ail noir à l’encre de seiche, la tartelette au curcuma, patate douce et pecorino truffé, le croustillant de tapioca au tartare de muge, mangue, piment confit… Oui, trois fois oui, au calalou (soupe verte antillaise) de gombo et tonburi («caviar des champs» japonais), translucide gamberoni de San Remo, avocat et petits pois. Aux asperges blanches en grande tenue, cuisson exemplaire, à la verticale, et chantilly d’oeuf de poissons poudré de colombo. Et encore au madras de suprême de volaille fermière, pomme de terre, citron de Menton et moringa, hommage au tissu coloré que portent les créoles des Petites Antilles.
Et comme rien ne se perd et tout s’imagine, on trempe «le pain du lendemain» dans une huile d’olive au mandja, racine à la saveur délicate dite «safran-pays». Enfin, le riz carnaroli au lait d’amande vanillé de la cheffe pâtissière Floriane Grand, voyage avec fraise des bois, pommade de raisin au rhum agricole et pain de Gênes au fudge (confiserie américaine) de groseille pays.
Cette fusion culinaire entre Caraïbes et Méditerranée demande parfois une explication de texte et le service conduit par Jérémy Testa – douze ans de maison – l’énonce clairement. Perfectionniste qui ne laisse jamais partir en salle une assiette imparfaite, Marcel Ravin rappelle qu’en matière de goût et de produits il n’y a pas une culture dominante, il n’y a que de bons accords et le plaisir à suivre. Il a même programmé son restaurant du futur. Il s’intitulera Les Cinq Éléments et traduira dans un décor refondé – cuisines, salle et terrasse – sa philosophie culinaire. Cela fait peut-être «intellectuel» mais confiant dans sa gastronomie, plus jamais «exotique», il séduit par le verbe, le geste et l’émotion.
(1) Marcel Ravin a ouvert le Mada One, snack aux plats ensoleillés à deux pas de l’Hôtel de Paris. Il est aussi le conseil du Grand Réfectoire à l’Hôtel Dieu Lyon. Lire «D’un rocher à l’autre» (Ed. de La Martinière) et le «Best of Marcel Ravin» (Éd. Alain Ducasse).
Le Blue Bay au Monte-Carlo Bay, 40 Av. Princesse Grace. Tel. 00 377 98 06 02 00. Menus 165 et 205 €, menu vegan 110 €. Ouvert mercredi à samedi. Fermé 28 nov./20 déc. et 15 février/21 mars 2023.