Il est jeune, incroyablement jeune. Peut-être vient-il d’être recruté par l’Hôtel Métropole pour donner un nouvel élan au restaurant que conseillait Joël Robuchon, disparu il y a cinq ans. Pour changer de cap, monter le son et l’image, faire le show, scotcher les influenceurs… et pourquoi pas fomenter une révolution de palais comme on en voit aujourd’hui dans de grandes maisons ?…
… Mais rien de tel aux Ambassadeurs. Le jeune chef que l’on imaginait est, comme on dit, une vieille connaissance. Christophe Cussac, qui fut l’un des lieutenants de Robuchon et a défendu ici, pendant vingt ans, sa conception de la cuisine et du restaurant. Fidèle parmi les fidèles depuis la fin des années 70 (Hôtel Nikko, Le Jamin), il était l’acteur d’une gastronomie dont il n’était pas l’auteur. «Petit par la taille, grand par le talent» répétait à l’envi Joël Robuchon, parlant de ce «grognard» qui veillait sur son restaurant comme sur Yoshi, à l’entrée du palace, sa première et seule table japonaise dans le monde.
Mais aujourd’hui, après deux ans et demi de fermeture pour rénovation et le temps long du Covid, la donne a changé et entre continuité et changement, l’après Robuchon invite une autre histoire.
Aux Ambassadeurs, désormais, le patron c’est lui. Heureuse nouvelle, il ne «fait pas du Robuchon» ! Il n’a conservé que la célèbre purée, confortablement beurrée, simple à comprendre et reconnue aux quatre coins du monde. Il la pratiquait en 1981 à son arrivée au Jamin, c’est dire qu’il est «légitime en purée».
On se tromperait en disant qu’il rempile ou joue les gardiens du temple. Non, il renait ! Il cuisine à la première personne, se découvre lui-même et s’enthousiasme comme un jeune espoir, aussi volubile aujourd’hui qu’il pouvait être réservé dans les années J.R. Cette fraîcheur d’esprit, je l’ai retrouvée lors d’un dîner accompli, l’un des quatre proposés chaque semaine dans la salle des Ambassadeurs.
Le Cussac nouveau s’y exprime sur une carte gourmande et cohérente. La sienne. C’est elle qui donne le ton, qu’on la suive à la lettre ou qu’on fasse un détour par les «fines bouchées», héritage des «portions dégustation» créées par Robuchon. Le tartare de sar, cannelloni de caviar, le tian de rougets de roche et courgettes niçoises, présentée comme une fine miniature, la sardine marinée, caviar et citron de Menton ou la tomate et l’encornet, guanciale grillée (viande séchée italienne issue des joues du cochon), sont de cette cavalerie légère et délicate.
Puis cela enchaîne, stylé, avec l’entrée caviar et oeuf bio à la coque d’une fleur de courgette. Le saint-pierre et l’artichaut, bouillon de coriandre, limpide, évident. Les côtelettes d’agneau de lait, thym et pois chiches acidulés, cuisson au cordeau, est un plat qu’on aimerait inviter chez soi, pour soi, sans changer une virgule. Enfin, parce que l’auteur de ces lignes est peut-être hors de contrôle et ne sait pas modérer ses envies, une somptueuse entrecôte à la moelle, toast melba, sauce vigneronne, absolu péché de gourmandise. Pour faire pardonner cet écart, la tartelette au citron, sorbet basilic et les cerises au «rappu» (vin doux du Cap Corse) et amandes fraîches concluent en douceurs, disons sudistes.
Voilà un aperçu du Cussac nouveau. Pas question, pour lui, de couper les saveurs en quatre, un plat n’est pas un oiseau rare mais il a le devoir de simplicité. Le goût, la lecture immédiate, une technique solide, l’élégance sans le maniérisme et surtout donner du plaisir… cette cuisine, pointue mais pas perchée, lui ressemble.
La salle, autrefois chamarrée, s’éclaire d’une légèreté nouvelle et la fameuse cuisine-comptoir au décor rouge et noir a ouvert une autre fenêtre sur le salon voisin. Les chariots de pains et de desserts font plus d’un tour de reconnaissance, l’atmosphère est à la simplicité, le service eest plein d’attention, conduit par Marco Tognon, directeur du restaurant, ex de David Toutain, d’Apicius, Le Cinq, le Bristol, La Chèvre d’Or, La Tour d’Argent… La clientèle retrouve ses marques ou découvre un luxe sans ostentation et une gastronomie sereine. Elle n’oublie sans doute pas les années Robuchon mais elle savoure à sa juste valeur la cuisine d’un jeune chef nommé Christophe Cussac.
Les Ambassadeurs by Christophe Cussac, Hôtel Métropole Monte-Carlo, 4 av. de la Madone. Tel. +377 95 15 15 10. Menu dégustation (8 plats) 295 €. Fines bouchées 25/85 €. Ouvert du jeudi au dimanche, uniquement au dîner.