Avant, pendant ou après le virus, la vie est, aussi, dans les livres. De préférence savoureux et bien portants. Quelques exemples gourmands et romanesques…
Cènes de famille de Jean-Louis Maunoury (Ed. Autrement)
Il faut lire ce «récit de bouche» de l’écrivain niçois (Le Saut de l’ange, Nasr Heddin Hodja, un drôle d’idiot, Contes à croquer tout cru, La cuisine magique de tante Léonie…) au fil de ses souvenirs d’enfance et de mémorables moments «à table». Heureux enfant, élevé par Victor, grand’père cuisinier à l’humble et noble savoir, et une mère de même ferveur, régalé «dans le droit chemin d’une juste cuisson», l’exigence du meilleur produit, la vérité du terroir (normand), le sens des mots «ordinaire», «abondance», «privation»…
L’écriture est limpide, le récit parsemé de mots éloquents (aiguiser, cocotte, croustillant…), de plats-tradition (tripes, boeuf-mode, salmis de canard) et de «nourritures tribales» (soufflés). Ce docu-roman du savoir manger et du bien vivre est un régal de littérature. Une gourmandise.
Un sacré gueuleton, manger, boire et vivre de Jim Harrison (Flammarion).
Voilà un livre que n’aura pas le coronavirus ! Il n’aurait d’ailleurs pas été admis à la table du grand écrivain américain, mort en 2016 de bonne chère et de robuste appétit. Ce volume chargé de produits, de recettes, de vins, de plats et de bombances comme un galion est chargé d’or et de pierres précieuses, rassemble les articles sur la gastronomie écrits au fil de sa carrière. Quel voyage, quel gosier, quelle descente et quels gueuletons ! Dont celui, mémorable, en trente-sept plats, cuisiné par Marc Meneau (L’Espérance) pour Big Jim, spécialement venu du Montana se recueillir à Vézelay ! Fou de vins, de nature, de gibier et de tout ce qui fait belle nourriture, Harrison plaide pour la vie, la mieux remplie possible, évoque la littérature, l’amour, les femmes, la politique. On se régale de redoutables festins et de mille et une cuvées magiques (Meursault, Romanée Conti…) dans ce livre d’un gourmand fabuleux et radical préfacé avec tendresse par son ami Mario Batali, chef de Babbo, son restaurant new-yorkais.
On peut savourer çà : “Quand la vie décide de m’accabler, je sais que je peux faire confiance à un Bandol – Note : du Domaine Tempier, son préféré – à quelques gousses d’ail et à Mozart.” Ou çà : “Si l’on devait m’apprendre que j’allais bientôt passer l’arme à gauche, j’ai souvent pensé que je rejoindrais Lyon pour y manger comme quatre durant un bon mois.” Harrison le magnifique, dont il faut lire Dalva, Légendes d’automne, Un bon jour pour mourir, De Marquette à Veracruz, Aventures d’un gourmand vagabond... décrivait ainsi l’un de ses personnages : «Il mangeait littéralement à grandes bouchées le soleil, la lune et la terre». Tout son auto-portrait.
L’Explorateur du goût d’Alexandre Stern (AD Edition)
Au moment, à haut risque, où guettent le repli sur soi, la peur de l’autre et les frontières cadenassées, les passions et les découvertes de cet entrepreneur et explorateur du goût changent notre horizon. Alexandre Stern a compilé «toutes les saveurs qu’il faut avoir goûtées une fois dans sa vie» et a sillonné 688 spécialités culinaires des cinq continents. Aliments, saveurs, recettes, produits et origines, il voyage et ouvre grand les fenêtres. Au hasard des rencontres, roquefort, baba au rhum, artichaut épineux de Sardaigne, civelles, figue blanche du Cilento, agneau de l’île de Pag, tilapia, porc char siu, calmar d’Hakodate, baba ghanoush… A vos livres, souvenirs ou grimoires ou plutôt suivez Stern, érudit, curieux et passionnant.
Itinéraire spiritueux de Gérard Oberlé (Grasset)
Ayant bu et lu plus d’un écrit sur le vin, on remonte de la cave en titubant. Trop d’experts et de savoirs… Mais on a sauvé ce livre-pépite, cuvée 2006, de Gérard Oberlé, écrivain, amateur de livres anciens, compagnon de bamboches de Jim Harrison, plébéien, rabelaisien, raboteur et fine plume, élevé dans la ferveur des bistrots, ces “débits de consolation”. “Les bouteilles et moi c’est comme qui dirait une histoire de famille”. Une histoire de soif pour bons vivants. Chez Oberlé, l’ivresse est un maître-mot. Ses virées avec Jim Harrison trébuchent parfois sur un cognac tchécoslovaque, ses détours en Val d’Aoste conduisent à des barolo opulents et chaque page invite un livre, un vin, une cuvée princière ou une gueule de bois. “Disons que ma vision du monde est un peu trouble. Tant mieux !”. Un verre de saumur-champigny et ce roman pour grands gosiers bien en main, on trinque à la santé d’Oberlé, à son gai savoir et à ses libres boissons.
Encore des nouilles de Pierre Desproges (Les Echappés)
Desproges à table, ce n’est pas du réchauffé. Juste deux doigts de nonsense dans une marmite de virus. Il est toujours temps de savourer les chroniques culinaires improbables d’un «gastronome approximatif doublé d’un buveur anarchique», rédigées dans les années quatre vingt pour Cuisine et Vins de France et illustrées de dessins de Cabu, Charb, Luz, Riss, Tignous, Wolinski… Du collector, du ciselé, du brutal aussi. Initié au vin, à vingt ans, en bredouillant un Château Margaux 1928, Desproges cuisinait à ses heures et puisait dans sa cave aux trésors. Toute nostalgie bue, on savoure ces chroniques foldingues et stylées d’un amateur averti qui aimait les vins, la table, les femmes, l’amour, la vie.