Confiné, déconfiné, gestes-barrières, se réinventer… ! Les mots n’auraient pas plu à Paul Bocuse mais il les aurait cuisinés et détournés à sa façon. «Monsieur Paul» est mort (20 janvier 2018) avant qu’un virus majeur ne bouleverse le monde et ne mette en péril le secteur des hôtels, cafés et restaurants et la planète des chefs. Alors pour conjurer ce mauvais sort et savourer les jours meilleurs, on a envie de retrouver la gastronomie du temps d’avant. Et de cheminer avec Bocuse, son immense acteur.
Le livre de François Simon et Patricia Zizza, «Paul Bocuse, héritage» ou la vie et les recettes emblèmes d’un gastronome révolutionnaire (Ed. Flammarion, 207 pages, 29,90 €), fait oublier un instant l’actualité et son cortège sanitaire. En quinze chapitres, autant de témoignages de chefs et amis et en trente recettes, tout ou presque est rassemblé de sa vie, de sa conception du métier, de son enracinement.
Il y a de jolis mots et de beaux sentiments dans ce livre. «Il fonctionnait à l’émerveillement… il avait besoin d’être entouré… pas forcément toujours par les mêmes. D’où sa vie sentimentale – et amicale – très riche… Une vie à miroirs et à tiroirs», écrit Patricia Zizza.
La suite, sous la plume de François Simon, est jalonnée de malice, de souvenirs gourmands et de coups d’éclat. La genèse de l’auberge à Collonges, les passes d’armes avec Gault et Millau, l’ouverture, le business (“Il ne s’agissait plus de rester confiné (!) dans ses cuisines carrelées. Il fallait bouger”), les voyages hors les murs d’un géant portant sa bonne parole et “sa cuisine hautement classique mais paisiblement duplicable”… “Monsieur Paul partait”. A Orlando, en Floride, au Japon, en Asie… esquissant dans les année 1970 les contours d’un empire tout en veillant sur son fief lyonnais.
Alors il faut plonger dans ce livre averti et bienveillant qui ne compte pas les étoiles et se lit aussi entre les lignes. “Sa cuisine valait-elle trois-étoiles ? Sentimentalement oui. Légitimement, oui. Mais gastronomiquement, pas toujours”.
Jusqu’au dernier témoignage – celui de Jacques Maximin, après les mots de Guérard, Gagnaire, Haeberlin, Troigros, Ducasse… – et jusqu’à la dernière recette, Tripes à la mode de Caen selon Escoffier (1902), Bocuse revit dans l’épopée, la fierté artisanale, la vérité du produit, le verbe, l’argent, l’art de la réplique et des bons mots, l’humour, la grandeur… “Un amour démesuré de la vie et de son lent poison”. Et le livre refermé, cherchant un guide expert en empathie et bon sens pour nos temps d’incertitudes, on a envie d’écrire “Bocuse, reviens !”