“M” est une lettre magique. M comme Mirazur, table frontalière à la croisée des Rivieras. M comme Mauro Colagreco, créateur de saveurs et passeur d’émotion. M comme Menton à qui il a offert une notoriété nouvelle. Et encore M comme mer et mirar. Regarder le bleu de la Méditerranée, terroir et territoire d’échanges et d’ouverture.
On peut poétiser à l’infini et peut-être à contresens en parcourant un livre de cuisine mais celui de Mauro Colagreco est autant un acte poétique et romanesque qu’un ouvrage de recettes.
Il montre la voie de la liberté et de l’inattendu. Il est aussitôt dans le registre d’un “territoire mobile”, évoque une “multiplicité d’horizons”, des couleurs changeantes, un émerveillement, des cuisines et des cultures sans frontières. Il exprime sa Méditerranée.
Ce beau livre entre terre et mer est né là où le chef italo-argentin, cinq ans après son arrivée en France, a rendu possible ce qui semblait irréaliste. Cuisiner, persévérer, s’imprégner, créer et surtout rester soi-même, avant d’atteindre deux étoiles au guide Michelin puis le rang de 3e au classement mondial des 50 Best Restaurants dans une ville des confins qui n’en imaginait pas tant. Offrir le meilleur aux clients, recevoir chaque année au Mirazur des cuisiniers de tous les continents (1) pour échanger savoirs, gestes et expériences. En somme, abolir frontières et protectionnisme, et dessiner une autre destination, tout aussi identitaire.
Mauro Colagreco a repris le Mirazur en 2006, comme l’homme prend la mer, au bonheur de la découverte, au risque des tempêtes. En 2018 le Mirazur, bientôt rénové, poursuit sa route, désormais connu dans le monde comme un lieu de création. L’aventure “impossible” continue et il fait grand beau à Menton.
Dans ce livre personnel et singulier, qu’édite Alain Ducasse, précurseur de la cuisine des Rivieras, il est question de marchés, d’artisans, de saisons, de mer et de montagne, d’herbes, d’huiles, de fruits, de jardins d’agrumes… Les pages sont parfois d’un noir profond mais vibrent d’éclats de lumière.
Les plats précèdent les 65 recettes, titrées a minima, sur le produit (“Oursins, café, amandes”, “Tomate, basilic, safran”, “Fraises, rhubarbe, roquette”…). Ils sont colorés, puissants et délicats comme autant de peintures et d’empreintes, signe que l’art prime sur la technique. Mauro des Rivieras, aux belles escales françaises – Loiseau, Passard, Ducasse, Martin – a imposé son style et “Mirazur“, mots, images et sentiments, est son manifeste. Passionnant.
“Mirazur”, AD, Ducasse Edition, photos Eduardo Torres, préface Massimo Bottura, 366 pages, 59 €.
(1) Cette année, entre septembre et octobre, Thomas Troisgros, chef du restaurant Olympe ouvert par son père Claude à Rio de Janeiro, Rodolfo Guzmán, précurseur de la cuisine endémique au Chili, chef du restaurant Boragó, et Pablo Rivero et Guido Tassi, experts argentins de la cuisson à la braise (leur restaurant Don Julio à Buenos Aires).
Mirazur, 30 avenue Aristide Briand, Menton. Tél. 04 92 41 86 86. www.mirazur.fr
Infos pratiques
- Editeur / prix : Ducasse Edition, 365 pages, 59 €