«Chez Bruno» vogue vers ses quarante ans. On n’a jamais fini de lire et de relire ce livre de saveurs et d’images aux portes de Lorgues. Salles aux tables nappées, fresques et boiseries, terrasse aux mûriers, statues, fontaines et véranda, fer forgé à profusion, cheminements pavés, hôtellerie en pleine nature… quelle adresse de charme en Provence raconte son histoire avec autant d’éloquence ?
Dans ce théâtre de la truffe éternelle où chaque saison apporte un projet (1), le chapitre de la transmission est clos. Bruno y reste la figure tutélaire et le père fondateur d’une adresse hors normes qu’il continue d’inspirer et que conduisent ses fils Benjamin et Samuel. Benjamin est le maître du jeu. Il a fait évoluer le répertoire culinaire sans heurts ni reniements tout en affirmant son identité.
Avec Nicolas Le Mat, son fidèle second, il suit la meilleure ligne culinaire possible, conserve quelques plats emblématiques, dont la pomme de terre cuite au four et crème de truffe, qu’aucun putsch ne pourrait renverser, apporte une élégance nouvelle et cultive les vérités du potager, annoncé par une pergola dès l’entrée du domaine.
Cet automne, j’ai retrouvé sa cuisine, superbe d’exécution dès l’instant de bienvenue (pain grillé à la truffe, raviole de butternut et épinards du jardin à la truffe d’Alba), avant l’entrée en scène de la pomme de terre cuite au four, crème de truffe albidum pico et râpée de truffe noire melanosporum (chaque variété est consignée sur le menu).
Les saint-jacques en carpaccio crémeux de champignons et râpée de tuber uncinatum ou la version poêlée et topinambours à la truffe, comme l’assiette de légumes et truffe noire, content une légéreté de son temps. Quant au canard de Challans, présenté à table comme un gâteau à la croûte dorée, désossé au foie gras et truffes, cuisses confites au Porto, champignons des bois et râpée de truffes, il illustre la maîtrise de cette maison étoilée, à mon avis sous cotée. Benjamin quitte parfois ses cuisines en sous-sol pour expliquer tel accord et conter à son tour la truffe et ses mystères dans l’une des salles où Éric Barel conduit un service rompu aux représentations de plus de cent couverts.
L’art du simple définit ainsi Chez Bruno et l’univers enchanté de la Campagne Mariette où l’on vient pour affaires, amours, amitiés, fêtes ou anniversaires et pour le moment de partage, non pour une gastronomie savante.
Certains clients, moins argentés, «cassent la tirelire» comme au bon temps de Bocuse à Collonges-au-Mont d’Or. Ils ont fait le bon choix car l’adresse est taillée pour la convivialité, maison bourgeoise et chaleureuse au cœur de la Provence qui pourrait aussi bien vivre en Piémont, au pays de la truffe blanche. Bruno a légué le sens de l’accueil, le bonheur à table, l’imagination et le bien être. Cet esprit demeure et l’histoire continue sous le signe du «B». B comme Benjamin.
- Six nouvelles chambres et suites, calmes et spacieuses, sont ouvertes depuis juin. Un petit déjeuner complet avec brouillade aux truffes y est proposé.
Campagne Mariette, 2450 route des Arcs. Tel. 04 94 85 93 93. Menu unique (3 versions selon la variété de truffe, 83, 125 et 175 €). Fermé dim. soir et lundi. Parking, voiturier. 18 chambres et suites. www.restaurantbruno.com