Un resto-épicerie… Réunir en un même lieu, disons hybride, les étals de l’épicerie et les tables du restaurant, l’idée est séduisante mais rarement tentée et encore moins réussie. La restauration a son quant à soi et a d’autres priorités que de mettre en scène les créations du chef et les oeufs de la fermière. A chacun son métier et les egos seront bien gardés.
«21 Paysans» est l’une des exceptions qui défient cet ordre établi. Unique à Nice comme l’est, à Marseille, la table-épicerie L’Idéal, de Julia Sammut, à la fois «garde-manger» et resto de midi. Moins médiatique, l’adresse niçoise a de solides arguments à faire valoir en termes de rapport avec ses producteurs et du lien créé avec ses clients.
Créée il y a six ans par Eliott Mercier, au parcours atypique (études supérieures de commerce à Paris-Dauphine, thèse sur les semences à Londres, ouverture d’une ferme permacole en Inde, «paysan» à Tende…), elle s’en est d’abord tenu à l’activité «épicière». Quatre années d’étal réussies ont permis d’ouvrir la deuxième étape et d’ajouter une restauration aux produits sourcés le plus localement possible, en particulier en haut-pays niçois.
Une fois la confiance et le juste prix établis avec les petits producteurs, Eliott et son équipe se chargent de l’approvisionnement – légumes, fruits, œufs, viandes, pains, fromages, vins… – du transport et des livraisons aux clients. La suite s’écrit dans le grand espace du resto-épicerie où se concrétise le lien entre paysans et consommateurs.
Rue Valperga, il est sans frontière entre boutique et restaurant. Baies vitrées, haut plafond, terrasse sur rue, convivialité immédiate, le discours éthique prend forme aussitôt. «Nous sommes à la recherche du goût et de la diversité cultivée», dit EliottMercier. «Nous souhaitons être surpris chaque jour, vivre des expériences culinaires différentes, redécouvrir une façon de s’alimenter… Servir des produits issus d’une agriculture locale et familiale, redonner ses lettres de noblesse à la paysannerie, honorer le plus ancestral et essentiel de tous les métiers, celui qui nous nourrit…».
Depuis deux ans, Eric Cherval, ex pâtissier de Marc Meneau à Saint-Père-sous-Vézelay, puis compagnon de route d’Olivier Labarde, caviste historique de la biodynamie à Nice, à La Part des Anges et à La Mise au Verre, applique cet engagement en chef éclairé, conscient des enjeux d’aujourd’hui, impliqué dans une démarche qui concilie pérennité d’un modèle agricole et plaisir de table.
Lors de mon passage un midi, l’ardoise invitait le simple et le bon : houmous et foccacia, délicieux raviolis, épinards et bouillon de légumes, puis une crème au chocolat et poire au sirop. Une cuisine gourmande, sans détours, comme familiale, avec pâté en croûte, crème de lentilles au foie gras ou tendron de veau confit, boulettes de porc, pommes de terre sautées et chou braisé.
Au fil de l’ardoise on apprend vite la langue “locavore”… Les pommes de terre sont de La Ferme des Grenouilles, maison paysanne au cœur de Villeneuve Loubet créée par Fabrice Leroy, maraîcher bio et «artisan de la terre». La chair à saucisse des cochons d’Amélie vient de La Ferme Le Mérinos à Utelle), les poireaux sont de Corentin Moriceau à Colomars, les herbes aromatiques, chapelure et œufs de Renaud à La Ferme de l’Erm (Saint Antonin), les pains de La Brigue ou de Nice (Boulangerie Bordonnat, pains aux blés anciens du Fournil Zielinska, pains bio de Mama Baker à deux pas, rue Lépante).
En cave, une sélection de vins bio, dont La cuvée Instant T (gamay-pinot noir) du Domaine Les Terres d’Ocre, AOC Saint-Pourçain tout en légèreté, «Le Cab’ des Acolytes» (cabernet sauvignon) du Domaine des Accoles (Florence et Olivier Leriche à Saint-Marcel d’Ardèche), ou la cuvée Colline, Côtes du Rhône du Domaine La Cabotte (famille Plumet à Mondragon).
21 Paysans ne concourt pas dans la catégorie bistronomie dernier cri et c’est pour çà qu’on l’aime. Qualité et saisonnalité du produit, plats clairs et prix doux, c’est une bonne table à sa façon, nature, vibrante et vivante, hors compétition. On y prend son temps, on s’y sent bien, l’accueil est décontracté et chaleureux et on s’attarde volontiers pour faire son marché. C’est une «oasis paysanne» à la fraternité gourmande, un lieu de partage pour libres mangeurs… Coup de cœur bien sûr.
2 rue Valperga, Nice. Tel. 09 87 02 05 72. Env. 25/35 €. Entrées 7 à 15 €, plats 12/19 €, desserts 7 €. Fermé samedi soir et dimanche. 2 e épicerie 3 rue Boyer . Tel. 09 88 09 00 37.