Alors que les restaurants de la Côte d’Azur reprennent goût à la vie, voici peut-être la table la plus en phase avec nos envies et nos prises de conscience : L’Auberge de la Roche, ouverte par Mickaelle Chabat, Louis-Philippe Riel et Alexis Bijaoui, à La Roche, l’un des cinq villages de la commune de Valdeblore, en limite du Parc National du Mercantour. Une pépite en haut-pays niçois.
Après quinze mois de travaux, effectués quasiment de leurs mains, ces trentenaires en rupture de stress parisien ont fait d’une bâtisse à l’abandon une maison heureuse proposant le gîte et le couvert. Chambres et suites contemporaines avec terrasses privées, celle du restaurant, ouvrant, plein sud, sur monts et vallée, coeur de salle chaleureux à la cheminée au design bleuté, livres de chevet et armoire vitrée en guise de cave… cette auberge-chalet, brut de bois, pierres, marbre et métal, offre art de vivre, hospitalité, nature et geste culinaire. Bons débuts…
Revenu de tant d’adresses soudain converties au bio et au circuit court, je redoutais l’appel des alpages. Faire des kilomètres pour s’ennuyer ou recevoir la leçon, non merci ! J’ai trouvé au contraire une table libre, d’émotion, la recherche du goût (perdu, défendu, originel…), les sucs, les jus, cuissons, salaisons et fumaisons, la complicité avec un territoire et ses producteurs. Et en cuisine, orchestrant cette “gastronomie durable”, le quatre mains inspiré et passionnant de Louis-Philippe, chef québécois qui fut, dès sa création, celui du 6 Paul Bert à Paris, bien connu des avertis de la food, et d’Alexis, ex sous-chef junior d’Alain Passard à L’Arpège et chez Dan Barber à New-York (Blue Hill Farm).
Le plaisir, la recherche, le végétal
A l’ouverture des terrasses – à demain vendredi pour celle, complète, de l’Auberge – j’ai testé un déjeuner de déconfinement, authentique, pur, gourmand dès le premier partage (pain maison au levain et farine bio de Valderoure) et les trois entrées, poireau vinaigrette, vierge de noix et d’herbes; cromesquis de tête de cochon, sauce gribiche et thon rouge du Cros-de-Cagnes (pêché par Flavien).
Puis un ragoût de légumes, oeuf poché de la Ferme Lavancia (Puget-Théniers) et pralin de graines de courges, le veau Aberdeen Angus de Breil sur Roya, sauce au barracuda, pomme de terre et tombée d’épinards, enfin un gâteau Nantais, comme un moelleux quatre-quarts, crème à la noisette du Piémont et glace à l’orzo (l’orge). Un bonheur.
Alexis et Louis-Philippe excellent dans le végétal, puisant en partie dans leurs potagers en permaculture. Risotto de haricots, graine de tournesol, purée de livèche et riccotta, paleron de veau, sauce piment, purée de carottes à l’amande et tombée d’épinards ; crème à la rose, fleur de sauge et sorbet fraise… un dîner – le menu change chaque jour – est ici non un exercice de gastronomie formatée mais une exploration en sept services qu’on regrette déjà – en tous cas pour l’instant – de ne pas découvrir à midi. A boire ? Les vins en biodynamie proposés sur une carte bien pourvue et conseillée sans diktat par Mickaelle, à l’accueil pétillant.
Dormir ? Au grand calme du Mercantour, dans les deux chambres et trois suites au clair confort, meublées de pièces chinées (chaises Thonet de 1910, pavés de verre de la Samaritaine, lampes de designers…) ou fabriquées par Louis-Philippe Riel (il sait tout faire !) et prendre un petit déjeuner bien dans l’esprit maison, avec café italien de Vérone (Giamaica Caffe), miche et brioche maison, chausson aux pommes, pastrami de poisson…
Dans la catégorie gastronomie d’altitude mais dans une approche différente, l’Auberge est dès à présent une adresse où “on revient”, complémentaire de Quintessence à Roubion, aussi courageuse et engagée. La Roche est en passe de devenir incontournable mais n’a pas encore résolu ce dilemme: faut-il y déjeuner ou dîner ? Déjeuner d’abord, en éclaireur, pour découvrir l’esprit et la méthode, s’aventurer ensuite à dîner, de préférence en ayant réservé une nuit, pour le bien-être sous les étoiles. C’est encore un peu court mais de nouvelles chambres – trois ou quatre – sont attendues l’an prochain et elles ne seront pas de trop.
Enfin, “y aller”, bien sûr. A une heure de Nice, c’est une simple formalité de temps et on n’en fera pas une montagne. Valdeblore n’est pas l’extrême Alaska et la montée par la vallée de la Tinée et les Gorges du Cians n’est pas la route sans retour. Alors, cet été, tous à La Roche !
Tel. 04 93 05 19 07 (réserv. vendr. à mardi, 10h/11h30). Ouverture complète du restaurant demain 11 juin. Menus 36 € à déj. 75 € à dîner (7 services). Ouv. de vendredi soir à mardi midi (à déj. de samedi à mardi, à dîner vendr. à lundi. Hôtel de vendr. à lundi (2 ch. 170 €, 3 suites 215 €).