Et si on commençait l’année des bonnes tables par Vence et sa cité médiévale aux rues pavées ? Dans ce cœur de ville, place Clémenceau, Jean-Philippe Douroux tint les premiers rôles pendant douze ans. C’était Les Agapes. A sa place, voici [NaCl], ouvert l’été dernier. L’enseigne est joueuse et ne manque pas de sel. Car vous connaissez bien sûr cette formule du chlorure de sodium, alias le sel de table… Passons sur ce titre savant, choisissons moins énigmatique en prononçant Nacelle et bienvenue à Pierre Prévost.
Ce trentenaire charentais passé par quelques chics escales était de l’ouverture du Pavyllon de Yannick Alléno à l’Hôtel Hermitage (Monaco) puis de Ceto et de La Piscine by Jean-George, au Maybourne Riviera (Roquebrune Cap Martin), la première conseillée par Mauro Colagreco, le trois étoiles du Mirazur à Menton, la seconde par Jean-Georges Vongerichten, l’alsacien multi-étoilé de New York. Mais l’important n’est pas ce court cv. Serveur pendant cinq ans à Nice, au Café de Lyon, adresse emblématique de l’avenue Jean Médecin, Pierre Prévost a «appris les bases» avec Nicolas Vernier, son mentor, ex étoilé à Paris (Il Cortile), ancien de Dominique Le Stanc et d’Alain Ducasse, qui réussit au Café Léa (Nice) une cuisine du marché de savoureuse mémoire.
A Vence, l’ex Agapes a pris un coup de jeune, salle du rez de chaussée et salon à l’étage remis en lumière, murs blancs, miroirs, tables de chêne, terrasse sur la rue piétonne. Esquissée depuis quelques mois, l’histoire de Pierre, l’autodidacte qui rêvait d’ouvrir son restaurant, non de s’éterniser dans le circuit aux étoiles, peut vraiment commencer. Elle est proposée en deux temps. Au déjeuner, pour 25 €, entrée-plat ou plat-dessert, l’approche est claire, gourmande, servie à prix sage et au gré du marché. Poireau vinaigrette et œuf mayonnaise, pluma de porc, fregola sarda et pecorino, tartelette à l’orange… une simple cuisine pas une bistronomie recopiée.
Au dîner, l’ardoise invite d’autres découvertes. En entrée, un crudo de Saint-Jacques, livèche, radis et garum de bœuf surprenant et subtil. Le foie gras et nori, saké et coings, capucines et poudre de cèpes, fin et voyageur. Puis quelques plats de bravoure, témoins de l’engagement maison. Un mérou de ligne de Méditerranée (poissonnerie Deloye à Nice) maturé trois semaines, cuit à cœur, légumes de saison glacés (scorsonaire, chou romanesco, petites carottes fane), bouillon dashi infusé à froid, assaisonné au yuzu et sauce soja. L’exacte cuisson du filet de bœuf du Piémont, champignons et jus zingara (sauce Escoffier revisitée, avec jambon fumé, truffe, graines de moutarde). Enfin un délicieux final chocolaté (guanaja, jivara, ruby en ganache, praliné noisettes).
Viandes ou poissons maturés pour gagner en affinage, fondant et textures, techniques inspirées du Japon pour atteindre l’umami, le fameux cinquième goût… Pierre Prévost, «fou de cuisine» révélé sur le tard, réalise, seul et sans repos, sauces et condiments, vinaigres, fermentations (1) et autres citrons confits… Fervent d’Auguste Escoffier, géant de l’art culinaire qui inspire toujours les meilleurs, il revisite les classiques du répertoire français et compose une gastronomie ouverte et séduisante.
J’ai aimé l’accueil, les saveurs, le service sans retard, le grand cœur à l’ouvrage. Sans perdre de vue que cette inspiration nouvelle pour quinze à vingt couverts n’est pas sans prise de risque dans la quiétude vençoise et l’économie du moment. Pourtant, pareille foi du cuisinier mérite mieux qu’une visite d’encouragement. Il suffit de demander aux excellents commerçants de la rue du Marché voisine (la Boucherie Fleuriel, les légumes de Stéphane et Sophie à Vence Eco, la Fromagerie de Thomas Métin…) tout le bien qu’ils pensent de cet artisan qui mature à façon et s’investit sans réserve. Avant de découvrir, un soir, sa passion du produit et son engagement gastronomique.
(1) Lire le Guide de la fermentation de René Redzépi, chef du noma à Copenhague, restaurant 3 étoiles qui deviendra, fin 2024, un laboratoire dédié à l’innovation alimentaire.
[NaCl], 4 place Clémenceau, Vence. Tel. 04 93 58 50 64. Menu déjeuner 25 €. Carte du soir 60/70 €. Fermé dimanche et lundi.