Gaël et Mickaël Tourteaux comptent parmi les plus sûrs talents d’aujourd’hui. Leur gastronomie, créative, toujours en éveil, est reconnue, notamment, par le Guide Michelin (2 étoiles) et le Gault&Millau (17/20, 4 toques). Depuis l’ouverture de Flaveur en 2010, j’ai pu mesurer l’évolution de ces «fous de cuisine» qui font honneur à Nice. Ils sont aussi des hommes de coeur. Fin novembre, le temps d’un déjeuner, ils ont privatisé leur restaurant pour le magazine #NOUS de Nice-Matin et ma chronique Saveurs mais surtout pour Lola Guenoun et Enzo Bertschy, jeunes niçois passionnés de cuisine que nous avions choisis pour découvrir cette table unique et être “critiques à la place du critique”. Je leur ai cédé la mienne avec grand plaisir.
Lola Guenoun, élève de CM2 à l’école de Crémat (Nice), cuisine depuis l’âge de cinq ans, conseillée par sa grand’mère et experte en recettes sucrées. Chaque mercredi, elle se met en cuisine et aide à préparer des plats, souvent pour la semaine. Ses spécialités : le moelleux au chocolat et le clafoutis aux poires. Les fondamentaux !
Enzo Bertschy, 15 ans, est en 2e B, section européenne, au Lycée Stanislas de Nice. Sa passion de la cuisine se nourrit de ses origines italiennes (Pedemonte, en Vénétie) autant que de sa découverte de l’Asie. Il a suivi ses parents dans leurs séjours professionnels à Shanghaï et au Japon et revient chaque année à Pedemonte où il ne manque jamais de goûter le risotto de l’Antica Trattoria Valdastico. Créatif comme son père, il est, chez lui, «le» spécialiste des pâtes, dont il maîtrise plusieurs recettes.
Lola et Enzo, j’en suis témoin, vont réussir l’épreuve gastronomique et découvrir ce qu’est une table contemporaine de plaisir, d’ouverture et de créations.
“Flaveur, on adore !»
Flaveur, à l’heure du déjeuner, square Durandy. Ce matin de décembre, un petit événement se prépare dans le restaurant étoilé des frères Tourteaux. La porte est ouverte et les menus sont affichés mais toutes les réservations ont été reportées aux jours suivants. En vrais “Chefs Noël”, Gaël et Mickaël Tourteaux sont prêts pour recevoir des hôtes de marque, deux jeunes clients… et eux seuls.
Lola arrive la première, accompagnée par son parrain, intimidée mais vite rassurée par l’accueil et le décor, le sapin de Noël posé sur la table centrale, la grande baie vitrée, les bois flottés et les silhouettes en contreplaqué marine évoquant poissons et océans. Enzo s’excuse pour son retard, “une épreuve de français qui a duré plus longtemps que prévu…” Il est à son aise, attentif à chaque détail. Lui et Lola sont déjà complices.
Grégory Vergnes et Mikhaël Lyoubi, responsables de la salle, les reçoivent simplement, pas sur un ton «étoilé», ce n’est pas le genre de la maison. Avant de s’attabler, les critiques demandent à inspecter les cuisines, enfin «la» cuisine, en retrait derrière le bar. « Elle est petite !» fait remarquer Lola. Les chefs, acceptent l’évidence en souriant. Depuis bientôt dix ans, leur récit créatif se déroule dans cette cuisine-laboratoire au format inattendu…
Le menu composé s’intitule «Exploration» (1) et pour Enzo «c’est déjà un voyage». Il ne croit pas si bien dire… Les mises en bouche se succèdent comme autant de miniatures délicates, croustillant de riz vinaigré, lisette à la chair fine marinée à la sauce soja (le shoyu japonais), haddock, crème citronnée et citron caviar, poudre de secca d’Entrevaux avec l’ail noir et un sablé coriandre…
«C’est quoi le gomasio ?» demande Lola, qui découvre ce mélange de sésame grillé et de sel marin, condiment traditionnel du Japon accompagnant la bonite (goma signifie sésame et shio, le sel). «Je ne retiens pas tout mais c’est délicieux», ajoute-t-elle sans se séparer de son cocktail litchi-mangue. «J’adore ! La paille a un goût de pomme verte, on peut même la croquer !».
Ils sont gentils, ces jeunes chroniqueurs ! Non, simplement ils apprécient, directs, spontanés, çà change des bougons de service ! Ils savourent les pains maison au parfum de coriandre et gingembre, ceux de Jean-Marc Bordonnat, le meilleur boulanger de Nice, le jus de raisin d’Alain Milliat, servi sur le carré de bœuf du Piémont et l’aubergine grillée de Sicile laquée au tamarin. «On dirait du vin ! » dit Lola. C’est vrai, ce jus de raisin aux arômes de cassis et de mûre est de cépage syrah, bien connu dans les vignes de Provence et en vallée du Rhône.
Le maître d’hôtel décrit en détail l’iode et l’épicé, la polenta croustillante, l’aiglefin fumé, les notes asiatiques, les accras de morue comme aux Antilles, la polenta soufflée, les herbes et les racines – «c’est subtil, craquant et crémeux à la fois, on dirait de l’air, il y a même comme des shamalows aux agrumes», dit Enzo. Lola approuve, mais un petit quelque chose ne va pas : le boudin noir, servi avec le lard di Colonnata. Tous deux sont d’accord, ce plat est recalé et pourrait bien faire baisser la note…
«On a fait un tour du monde ! »
On sert maintenant les desserts, éclatants de subtilité, mousseline de citron et pépites de thé matcha au chocolat blanc, amandes caramélisées au curcuma et safran, lait pris au gingembre, raisin manouka du Liban séché au soleil… Laissons les mots de la fin à Enzo, avec l’accord de Lola, de plus en plus assurée (elle a gardé un peu de la paille au goût de pomme !). «Les mises en bouche étaient extraordinaires, c’était explosif et délicat à la fois. J’ai découvert tellement d’épices et de textures, comme si je faisais un tour du monde culinaire ! L’espadon fumé à la sicilienne avec le citron confit au sel et la fleur de capucine m’ont emporté en Méditerranée et chaque moment était une aventure.
Moi qui préfère le salé, j’ai été bluffé par les desserts. Je ne pensais pas que l’ananas marié au tapioca s’accorderait avec la coriandre, qu’on pouvait ajouter de l’alcool et que ça donnerait quelque chose de fou ! Et à la fin, le Pan Massala, plat indien revu par les chefs, était d’une légèreté incroyable… Avec Lola, nous avons été accueillis avec simplicité et nous avons passé un moment merveilleux. Les frères Tourteaux sont de vrais Chefs Noël ! Je n’oublierai jamais cette expérience !»
Le verdict : une table au sommet
Lola et Enzo ont jugé Flaveur en critiques au regard neuf. Ils ont échangé sur les plats, les produits, le décor, le service et le talent des chefs et ont jugé «à la manière de» en appliquant les cotations du guide Michelin (les étoiles) et du Gault&Millau (les notes sur 20). Pour Enzo, 3 étoiles et 19/20 ! «A cause du boudin noir», Lola a hésité entre deux et trois étoiles mais pas sur la note, 18/20. Avec «presque» trois macarons et 18,5/20, ce verdict récompense une cuisine d’émotion et de créativité. «Merci à Nice–Matin de nous avoir choisis pour être jugés par des enfants. C’est une belle idée et la manière dont ils ont ressenti notre cuisine et l’ont goûtée avec passion et sérieux, nous a touchés» ont commenté Gaël et Mickaël Tourteaux, propulsés sur la voie d’un 3 étoiles nouvelle génération ! Les pros sont avertis : bientôt sortira le Guide Enzo & Lola des bonnes tables de la Côte d’Azur, en attendant une édition nationale et la version en ligne. Flaveur inclus, bien sûr !
Infos pratiques
- Adresse : 25 Rue Gubernatis, 06000 Nice
- Tél : 04 93 62 53 95
- Site : www.restaurant-flaveur.com
- Menu : Menus Exploration 120 et 150 €, menu Toutes Latitudes 185 €
- Fermeture : Ouvert du mardi au vendr. à déj. et mardi à samedi à dîner