Bruno Cirino… Qui s’intéresse au monde de la gastronomie connait le nom de ce cuisinier d’exception formé auprès de Jo Rostang, Roger Vergé, Jacques Maximin au temps du Negresco et Alain Ducasse à l’époque du Juana et toujours parmi les grands après vingt-cinq ans à l’Hostellerie Jérôme (La Turbie), son deux macarons désormais fermé. Fin mars, la cérémonie de l’édition 2025 du Guide Michelin n’était donc pas son actualité mais en conservant l’étoile obtenue l’an dernier à Nice pour la «gastronomie végétale» proposée à Racines, il préservait l’essentiel. Cuisiner, encore et toujours, passionnément !
En évoquant cette dernière reconnaissance on s’écarte un instant du circuit habituel de la gastronomie mais il est toujours temps de saluer ce talent au fort caractère, reconnu par ses pairs comme l’un des meilleurs. Alors que le guide rouge ne retient plus ses coups pour démonétiser quelques grands anciens (les pertes successives de la troisième étoile de Marc Haeberlin, Guy Savoy et cette année Georges Blanc), Cirino demeure un «historique» à la modernité intacte.

A l’Hostellerie, jadis presbytère des moines cisterciens de l’Abbaye de Lérins, on confessait des péchés de gourmandise auxquels il était hors de question de renoncer. Calamars grillés « Bellini », langoustines puces à la vapeur, gamberoni d’Oneglia, nèfles, dattes blanches et fleurs d’acacia, asperges d’Albenga étuvées aux truffes noires, émulsion de Comté, loup en infusion de céleri vert, poireaux et truffe, homard saisi « à cru », filets de rougets de Méditerranée « rouge feu » avec bouillon, entrailles et fenouil…
Au temps du Covid, le choix d’ouvrir en même temps un restaurant de «cuisine potagère» et d’intituler «gastronomie végétale» son unique menu en neuf services n’était pas sans risque. On entendit quelques réserves et amabilités («c’est un peu cher pour des légumes») puis on s’aperçut que cette table discrète à deux pas du marché de la Libération était hors concours dans la catégorie «végétariens» et ne vivait pas « vegan ». Aujourd’hui Bruno Cirino a quitté La Turbie, cultive à Nice une thématique qui n’admet pas la désinvolture et reste le cuisinier hors pair que l’on sait, à la recherche du goût originel, du produit d’excellence et des quatre vérités des saisons.
A Racines, il traite chaque légume en seigneur. L’oignon rouge italien «tropea», variété ancienne à la saveur douce et sucrée, avec oignons blancs primeurs ; la première morille, farcie de champignons et fines herbes ; les asperges du Ventoux, jus végétalisé de leurs peaux, brocoletti et blettes; l’artichaut épineux de Ligurie, soufflé au comté et ricotta… Maîtrise, simplicité, délicatesse, émotion.

Alors qu’Hugo Roellinger, nouveau trois étoiles (1), explore des pistes végétales et marines et fait des algues le socle de sa gastronomie, Bruno Cirino, 70 ans et le culte du produit comme aux plus beaux jours, reste, au meilleur sens, un fou de cuisine :«le produit est notre souffle et notre énergie. Saisir sa beauté, sa simplicité, sa brièveté, vagabonder entre ciel et terre, ciel et mer, le chercher passionnément, le trouver, être comblé et enfin… recommencer ! » Dans ses jardins d’Èze-Village et de La Turbie, il cultive jeunes pousses, légumes oubliés et pièces rares et pourrait faire sienne cette définition de Michel Onfray : «le légume le plus modeste contient l’aventure du monde».
L’étoile de Racines est incontestable mais si mes souvenirs gustatifs ne me trompent pas, une deuxième serait encore plus juste, rappelant celles conquises à «L’Hostellerie Jérôme» où Marion Cirino créa une carte des vins elle aussi exceptionnelle. On remettrait ainsi à cet artisan aux mains d’or ce qui lui est dû pour tant de saveurs, non un lot de consolation à l’approche d’une fin de carrière. Le guide rouge vaque bien sûr à d’autres stratégies et mise sur la nouvelle génération ce qui est aussi son devoir. Mais à Nice, ce pur cuisinier, tout à sa passion dévorante et loin du spectacle, vaut bien des talents d’aujourd’hui. Rendez-lui visite !
- Hugo Roellinger, chef du Coquillage à Saint-Méloir-des-Ondes (Ille-et-Vilaine), est le fils d’Olivier Roellinger qui a obtenu la troisième étoile il y a vingt ans.
- (2) A Menton, il faut découvrir sans attendre L’Orangerie de «Mitsu» Mashita qui a été pendant quinze ans le chef de Bruno Cirino à L’Hostellerie Jérôme. Son menu à 39 € est digne du meilleur Bib Gourmand, reconnaissance que le Guide Michelin ne lui a pas encore attribuée. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. L’Orangerie 3 rue de la Marne. Tel. 04 97 14 84 91.
- Racines, 3 rue Clément Roassal, Nice. Tel. 04 93 76 86 17. Menu 85 € (9 plats). Ouvert le soir seulement de mercredi à samedi et mardi à partir de mai.