Qu’est ce qui fait courir Roger Martins, l’homme qui a apporté une gastronomie au long cours à Marina Baie des Anges ? Les étoiles, peut-être, mais pas celles qui brillent en Méditerranée, les récompenses plus terre à terre du guide Michelin. Bâtir, tenir, placer son restaurant parmi les meilleurs, décor et cuisine, à l’évidence le propriétaire de La Flibuste, qu’il a ouvert en 2001 et métamorphosé depuis sept ans, sait comment «parler» au guide rouge. La preuve ? L’étoile conquise par Eugénie Béziat en 2020 et passée de mains en mains, brille toujours au cœur de Marina et l’arrivée de Valerio Borriero en début d’été, lui promet du pain sur la planche.
Racines italiennes, famille installée à Charleroi depuis deux générations, Valerio Borriero a commencé son parcours en Belgique, passant par quelques maisons étoilées ( (« La plage d’Armée » à Namur, « l’Essentiel » à Temploux), avant de gagner le Canada et « La Cabane à Sucre au Pied de Cochon » , adresse typiquement québécoise de Mirabel, puis de rejoindre Bruxelles et « La Villa in The Sky » (2 étoiles), enfin Noirmoutier et La Table d’Elise, le trois étoiles d’Alexandre Couillon. Un voyageur éclectique et enthousiaste à La Flibuste, cela convient à Roger Martins, habile à débusquer les talents et les cuisines d’auteur parfois iconoclastes. Cette histoire belge au pied des pyramides, c’est du sérieux, proposé par un chef perfectionniste, un peu freestyle, finaliste Europe du concours de Meilleur Jeune Chef du Monde en 2023.
La seule question qui vaille est la suivante : cette cuisine sans frontières vaut-elle une étoile ? Fin juin, un dîner m’a convaincu du bien fondé de ce recrutement. Les premières notes – maquereau légèrement flambé, gel sous dashi, duo de radis frais, poudre de laitue de mer ; rouleau croustillant à l’oignon caramélisé et olive noire, mayonnaise à l’anchois, démontrent un « peur de rien » séduisant. La tartelette croustillante de sarrasin, tartare de dorade royale, pointe de mascarpone aux herbes, sorbet oseille, mélisse, ose tout et bien. Plus convaincant encore, la voie «potagère », dans l’air du temps, fine et maîtrisée, aux petits pois croquants, pois asperges, graines de tournesol, huile de livèche, quenelle ricotta petits pois, sauce lacto fermentée. Un jardin d’été. Puis le filet de merlan confit à l’huile d’olive, déclinaison de fenouil de Grasse confit et cru, confits de kambu et sauce à l’algue bretonne (dulce) est un plat réjouissant et funambule. La lotte rôtie au beurre, purée de carottes des sables et carottes fanes, émulsion façon rouille est plus incertaine mais le filet de veau normand à la cuisson exacte, ail noir, déclinaison de courgettes, citron légèrement confit, sauce de braisage, reprend la main. La conclusion est apaisée, presque « normale », dessert aux cerises pochées, gel de cerise, dôme chibouste aux amandes, biscuit danois et vinaigrette à la cerise, huile d’olive (famille Jorda à Saint-Laurent du Var).
Que reprocher à ce créatif qui coche toutes les cases du bien cuisiné contemporain ? Une pécadille, tout de même déjà installée, la tendance à miniaturiser les légumes, ces acteurs de premier rang, au risque d’en perdre la saveur et la mâche. Ciseler, ajuster, détailler, c’est aussi se disperser et perdre le fil de l’histoire. Mais après tout on faisait la même critique à Eugénie Béziat… Valerio doit à son parcours multi horizons une habileté à multiplier les accords et à «casser les codes». Racines italiennes, sympathie, autodérision, gastronomie sans oeillères, recherche du meilleur de la production locale, il est légitime et semble taillé pour cette maison toujours en mouvement.
Ah, La Flibuste ! Combien de restaurateurs perdent le sommeil en pensant à l’étoile ! Depuis qu’il a fait le choix de la gastronomie, Roger Martins fait, lui, de beaux rêves dans son restaurant élégant et lumineux. Mais il faut avoir le cœur bien accroché et mesurer le risque. En 2019, il recrute Eugénie Béziat, passée chez Michel Guérard et venue de « La Roya » à Saint Florent. Étoilée en 2020, elle s’envole pour Paris et devient cheffe de L’Espadon, le restaurant gastronomique de l’Hôtel Ritz. Nicolas Thomas, venu du Lauragais aux portes de Toulouse, lui succède en 2022 mais fait court : une année. Puis c’est au tour d’Anne Legrand et Clio Modaffari, à la cuisine libre et aérienne mais qui ne s’attardent pas davantage. Valerio Borriero est donc le cinquième chef engagé en six ans à La Flibuste. Les talents valsent et l’étoile tient bon ! On revient donc à la question initiale, comment fait Roger Martins ? Peut-être a-t-il jeté un sort au guide suprême, ou l’a-t-il braqué d’un « haut les mains, Michelin ! » en lui faisant promettre de pérenniser le précieux macaron. En tous cas, respect ! Et l’aventure continue. Alors que Marina Baie des Anges entame sa rénovation portuaire et hôtelière (l’ouverture prochaine d’un Hilton), Roger Martins a balisé le terrain. En famille. Quelques pas plus loin, Family’z fait un tabac avec ses brunches et Mia Beach se glissera prochainement dans le nouvel espace du Hilton. Quant à La Flibuste, elle a conservé son étoile et vous salue bien !
La Flibuste, immeuble Commodore, port de Marina Baie des Anges (Villeneuve-Loubet). Tel. 04 93 20 59 02. Menus à midi, 85 € (3 services) et 105 € (4 services.). A dîner, menus 105 € (4 services) et 145 € (6 services). Jusqu’à mi-septembre, ouvert à dîner de mardi à samedi et dimanche midi et soir. Fermé à déjeuner de mardi à jeudi et lundi toute la journée.